Kennedy et Vatican II - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Kennedy et Vatican II

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L’élection du premier – et à ce jour le seul – président catholique des Etats-Unis en 1960 a coïncidé avec l’annonce de la convocation d’un concile œcuménique. Jean XXIII et John Kennedy meurent tous deux en 1963 à six mois d’intervalle, le Pape le 3 juin, le président assassiné le 22 novembre. Mais les hasards de la chronologie recouvrent des réalités de substance.

Entre les deux événements, un homme fait le lien : le jésuite John Courtney Murray (1904-1967). Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il réfléchit à la convergence du modèle constitutionnel américain et de la théologie catholique sur la liberté religieuse. Pendant sa campagne électorale en 1960, John Kennedy fait face à la méfiance invétérée des protestants anti-papistes. La déclaration du pape Jean XXIII intervient pour lui à un moment providentiel. Déjà le candidat s’était efforcé de se démarquer du poids traditionnel de l’Eglise ; il est même accusé de donner trop de gages aux protestants : pas de subventions aux écoles confessionnelles, pas de relations diplomatiques avec le Saint-Siège (la tentative de Truman en 1952 s’était soldée par un fiasco ; il faudra attendre 1984 pour que Reagan et Jean-Paul II échangent des ambassades). Mais le 12 septembre 1960, il fait face à Houston (Texas) à une assemblée des pasteurs (« ministres ») les plus influents des Etats-Unis. On a l’habitude de retenir de ce discours l’engagement du candidat à démissionner de ses fonctions si d’aventure il devait prendre une décision qui serait contraire à sa conscience. Il ajoutait qu’il en attendait autant de tous les hommes politiques. Mais son propos allait beaucoup plus loin. Le P. Murray avait d’ailleurs été consulté sur le texte. Kennedy se prononce en faveur d’une Amérique qui n’est officiellement « ni catholique ni protestante ni juive ». Il prend parti pour une stricte séparation de l’Etat et des religions. Or nous sommes alors dans une nation qui se considère majoritairement comme protestante. Qui défend plus ardemment la séparation que les juifs et, après eux, les catholiques ? Car ils sont minoritaires. Ce sont déjà les semences de la liberté religieuse. Le P. Murray, qui fait la couverture de l’hebdomadaire « Time » en décembre 1960 au lendemain de l’élection de Kennedy, pour la publication de ses essais (« We Hold These Truths », « Ces Vérités sont Nôtres »), ne tarde pas à être désigné comme expert au Concile et à contribuer de manière décisive à la rédaction de la déclaration sur la liberté religieuse : « Dignitatis humanae », adoptée le 7 décembre 1965.

Les Américains avaient fait le début du chemin en élisant un président catholique. L’Eglise universelle fera l’autre bout du chemin en adoptant le principe de la liberté religieuse. L’Eglise catholique américaine, longtemps communauté séparée au sein de la nation, vivant sur elle-même, ne comprendra pas tout de suite le parti à tirer de l’événement Kennedy. Le Père Andrew Greeley, le célèbre sociologue catholique américain, disparu récemment, en voulait à ses évêques – et au redoutable cardinal Spellman – de n’avoir pas pris assez vite le tournant. L’Eglise américaine ratera ainsi en partie le renouveau conciliaire. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles le mythe Kennedy ne connaîtra pas de lendemain. L’assassinat de Bobby Kennedy le 5 juin 1968 y met un terme définitif, mais on peut penser qu’un second mandat de son frère aurait également été fatal à sa légende. Celui d’Obama aujourd’hui accumule les déceptions.
Quoique l’Eglise catholique américaine se soit désormais fondue dans le consensus national et que les hommes (et femmes) politiques catholiques aient atteint des positions élevées (le vice-président Biden, la majorité de la Cour suprême, la plus forte représentation au Congrès), également réparties entre les deux grands partis, il semble qu’aucun candidat catholique ne puisse désormais répéter l’exploit de John Kennedy (semi-échec de la candidature Santorum l’an dernier) et que l’Eglise elle-même soit de plus en plus sur la défensive. La cause en est que les Catholiques américains n’ont pas encore réussi à dépasser leurs propres contradictions.

En 1960, pour contrer l’emprise de la « culture » protestante sur la politique et la société américaines, Kennedy, parce que cela correspondait à sa tradition familiale et à sa pratique personnelle, défend le principe selon lequel les options religieuses devaient rester du « domaine privé ».

La nation ne peut pas lui imposer une conscience religieuse, de même qu’il ne prétend pas, comme président, imposer à la nation les vues de l’Eglise catholique. Les catholiques vont dès lors et peu à peu encourager le processus de sécularisation déjà largement à l’œuvre dans la société. A l’arrivée, les hommes (et femmes) politiques catholiques traditionnellement démocrates vont continuer d’affirmer leur opposition « personnelle » ou « privée » à certaines législations, comme celles sur l’avortement, mais considérer qu’il n’est pas en leur pouvoir, en tant qu’élus, d’y faire échec.

Les Kennedy n’auraient manqué pour rien au monde la messe dominicale. Ils élèveront des familles nombreuses (les Kennedy étaient neuf enfants, Bobby Kennedy aura onze enfants). Mais cela ne regardait qu’eux et leur Créateur. Leur catholicisme était intérieur, du domaine privé, fixant quelques principes de comportement, une « culture » propre, familiale, sociale. Ce n’était ni une doctrine économique ni un mouvement politique.

Au contraire, pour Murray, et dans la ligne du Concile, la liberté religieuse devait être un point de départ pour un rebond dans toutes les manifestations publiques du message de l’Evangile transmis par l’Eglise.

Le malentendu ne pouvait donc pas être plus profond. Paul VI condamnera en 1965 la guerre au Vietnam avant que Jean-Paul II en fasse autant pour la guerre en Irak. Sans parler des controverses sur l’économie libérale, le racisme, l’immigration, le nucléaire etc. Et bien entendu la défense de la vie.