Le 13 Mars 2013, vers12h25, je me trouvais derrière un pupitre dans une salle de cours à l’école de droit de l’Université du Colorado à Boulder. J’étais venu y faire une conférence à l’invitation de la Federalist Society de l’école. De façon tout à fait inattendue, au milieu d’une phrase, mon portable se mit à vibrer. Je le sortis de ma poche, l’ouvris, et lus sur l’écran : « Le nouveau pape a été élu ».
Il s’agissait d’un texto de ma femme, Frankie, qui a été suivi des textos similaires de mes trois frères et sœurs et d’un appel de mes parents, qui, sagement, n’écrivent pas de textos. Quelques secondes plus tard, du public, jaillissait une cacophonie de sonneries, sifflets et sons de cloches. Je me suis alors exclamé : « Je pense que nous savons maintenant qui est catholique ici. »
Sur le chemin pour aller déjeuner avec un des étudiants en droit, j’ai reçu un texto de ma sœur Elizabeth. Il y avait simplement écrit : « Pape François ». Je sais que cela peut paraître étrange, mais mes yeux se sont immédiatement remplis de larmes. C’était non seulement une réaction due à la joie de savoir que la Chaire de Pierre n’était plus vacante, mais aussi parce que le cardinal Jorge Mario Bergoglio avait choisi le nom que je partage avec mon grand-père paternel, Francis W. Beckwith (1903-1982), et ma grand-mère maternelle, Frances Guido (1913-2002).
Comme je le dis dans mon récit autobiographique, Retour à Rome, ma grand-mère, Frances, était une fervente catholique avec qui j’ai vécu pendant mes trois années de doctorat à l’Université de Fordham tandis que je restais séparé de l’Eglise en tant que protestant évangélique. Ce n’est que des années après sa mort et mon retour à l’Église que j’ai découvert qu’elle avait approché un de mes professeurs de Fordham lors d’une fête de Noël pour solliciter son assistance afin de me faire revenir dans la Barque de Pierre. Comme il me l’explique dans un récent courriel : « Je lui ai dit que je trouvais que vous étiez un vrai chrétien, et qu’en son temps la Grâce vous ramènerait dans le giron de notre Eglise ».
Douze jours après mon retour de Boulder, j’ai reçu une invitation d’Austin Ruse pour participer (avec Robert Royal) à une conférence qui devait se tenir à Rome le 15 Juin 2013 , au moment même où on célébrait l’encyclique Evangelium Vitae du pape Jean Paul II. Cette célébration incluait le 16 Juin une messe, célébrée par le Saint-Père, sur la place Saint-Pierre.
J’ai tout de suite accepté. Parce que ma femme et moi n’étions jamais allés à Rome, et parce que je savais très peu de choses sur la façon dont fonctionne le Vatican, je suis arrivé dans la Ville éternelle sans attentes particulières, si ce n’est celles assez typiques et habituelles de tous les « novices » débarquant à Rome.
Le principal orateur de cette conférence était le cardinal Raymond Leo Burke, préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique. Je suis un admirateur du cardinal Burke depuis de nombreuses années. C’était donc pour moi un plaisir non seulement de le rencontrer, mais aussi d’entendre une allocution profonde et judicieuse d’un prince de l’Eglise si érudit. Ma conférence lui succédait et était suivie par l’exposé exceptionnel de Bob Royal.
A l’issue de cet événement, j’ai été approché par le Père Geno Sylva, un prêtre américain qui travaille au Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, et qui avait parrainé la conférence. Le P. Geno m’a dit de venir le rejoindre le lendemain matin à 8 h 30 précises à l’une des entrées latérales du Vatican. Il avait arrangé pour moi, avec environ vingt-cinq autres dignitaires et participants à la conférence, une rencontre personnelle avec le Saint-Père.
Quand ma femme et moi sommes arrivés à l’entrée, le Père Geno m’a remis le ticket spécial « con il Santo Padre Francesco Incontro (Rencontre avec le Saint Père) », que j’ai fermement serré dans ma main comme si ma vie en dépendait. Bien que je fusse tenté de le mettre dans ma poche, j’ai eu une peur irrationnelle de l’égarer et que l’huissier italien, élégant et sérieux, me forcerait alors à l’accompagner jusqu’à quelque donjon médiéval dans les sous-sols du Vatican. (Ok, j’exagère un peu).
Peu de temps après la fin de la messe, le petit nombre d’entre nous qui avions le privilège de rencontrer le pape, fûmes menés, par ces redoutables huissiers, de nos places vers une file qui commençait aux pieds du Successeur de saint Pierre. Tandis que j’avançais vers le Saint-Père, je me suis mis à réfléchir à ce que je devrais lui dire. J’ai immédiatement rejeté l’idée qu’il serait intéressant de lui apprendre que le président de la Société de théologie évangélique s’était appelé Francis plusieurs années avant que le pape ait pris ce nom.
Quand je suis arrivé auprès de l’évêque de Rome, je lui ai serré la main et j’ai dit quelques mots sur le caractère sacré de la vie humaine, sur l’importance de l’encyclique que nous étions tous venus célébrer, et que c’était pour moi un immense honneur de le rencontrer.
Je lui ai également remis un exemplaire signé de mon livre de 2007, Défense de la Vie : un argumentaire moral et légal contre le choix de l’avortement (Cambridge University Press). Comme j’ignorais son niveau d’anglais, j’ai pointé mon doigt sur mon nom sur la couverture et j’ai dit : « C’est moi. Je suis l’auteur ». Il m’a alors regardé droit dans les yeux, a souri largement, et moi aussi. La totalité de la rencontre n’a pas duré plus de quinze secondes.
Alors que ma main droite reposait dans la main droite du Saint-Père, ma main gauche serrait les grains du chapelet qui appartint autrefois à ma grand-mère Frances. Le pape Jean-Paul II l’avait béni en 2000, année où mes parents l’avaient acheté lors de leur visite à Rome. Après la mort de ma grand-mère, ma mère, sa fille, me l’avait donné.
Quelques instants après avoir quitté le pape, j’ai eu l’esprit envahi par la merveilleuse ironie de tout cela : en rapportant ce chapelet à Rome pour ma visite à un François, la visite elle-même est devenue une réponse aux prières ferventes dites sur ce même chapelet par une autre Frances.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/from-frances-to-francis.html
Photo : L’auteur et le Pape.
Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et de relations Église-État à l’Université Baylor.