LE MINISTERE SACERDOTAL DE VLADIMIR GHIKA JUSQU'A SON RETOUR DEFINITIF EN ROUMANIE - 1923 – 1939 - France Catholique
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LE MINISTERE SACERDOTAL DE VLADIMIR GHIKA JUSQU’A SON RETOUR DEFINITIF EN ROUMANIE – 1923 – 1939

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Dans l’exposé qui suit, nous donnerons un aperçu de la fantastique activité du Père Ghika depuis son ordination jusqu’au moment où il a décidé de rentrer en Roumanie. Nous traiterons successivement les divers aspects de son apostolat et de son ministère en sachant qu’ils sont souvent entremêlés. En dépit d’une santé fragile, le père œuvrait sur plusieurs chantiers à la fois : apostolat auprès des milieux intellectuels de Paris et apostolat auprès des pauvres (de la banlieue rouge ou des réfugiés, notamment russes ayant fui la Révolution ; fondation d’une Œuvre marquée par la spiritualité de saint Jean l’évangéliste qui n’a pas duré comme telle peut-être parce qu’elle était trop en avance sur son temps, divers voyages apostoliques spécialement en sa qualité de membre du Comité directeur des congrès eucharistiques internationaux). Bien entendu, il poursuivait son activité charitable de la même manière qu’au temps où il était laïc.

Les lignes fortes de sa spiritualité s’y dessinent et mûrissent : recherche des « préférences de Dieu », « théologie du besoin », « liturgie du prochain », zèle pour l’unité de l’Eglise. Le Père Ghika, comme prêtre du diocèse de Paris, donc prêtre diocésain, est inclassable. S’il débute chapelain à la chapelle des étrangers, ensuite, il n‘a plus guère de rattachement à une institution ou une œuvre du diocèse. Comme l’appellera le pape Pie XI : il sera « le vagabond de Dieu ».

ORDINATION

N’y revenons pas puisqu’elle a déjà été évoquée. On peut cependant se poser la question de son incardination. Pourquoi Paris ? Cette décision fut prise en tenant compte de la situation de l’Eglise catholique en Roumanie au début du XXème siècle. Nous savons que cette Eglise en Roumanie est surtout une église d’étrangers, Hongrois et Allemands sauf peut-être dans la région de Iasi. Quant aux Roumains catholiques, ils étaient surtout de rite gréco-catholique (d’où l’idée d’implanter des Filles de la Charité de rite byzantin dans les milieux gréco-catholiques, idée qui n’eut pas de suite sans doute parce qu’elle était prématurée ; en effet les Assomptionnistes y arrivèrent peu de temps après). En Transylvanie devenue roumaine après la 1ère Guerre mondiale, les diocèses catholiques latins comprenaient presque exclusivement des Hongrois et des Allemands, quant aux Roumains, nous savons qu’ils sont gréco-catholiques. Par conséquent, vu la situation de l’Eglise, il n’aurait pas été adéquat que le Père Ghika fût incardiné en Roumanie. Dans le diocèse de Paris, au contraire, il avait déjà exercé un apostolat fructueux et son rayonnement était bien établi. Pour preuve de la reconnaissance de son apostolat, lors de son ordination, il reçut diverses autorisations exorbitantes au droit commun, surtout à l’époque, celle de confesser ubique terrarum (n’importe où dans le monde), celle de confesser les femmes sans grille, d’absoudre les cas réservés, d’avoir un autel portable sur lequel il pourrait célébrer la messe. En 1931, il allait obtenir le droit de recevoir dans l’Eglise des convertis sans avoir à parcourir toutes les formalités diocésaines habituelles.

Enfin, au moment de son ordination il était entouré ou il était agrégé à un groupe de personnalités remarquables : les Maritain, chez qui il allait fréquemment. La messe était célébrée chez eux par indult spécial. On y retrouvait Henri Ghéon, Jean-Pierre Altermann (qui devint bien plus tard directeur de la Maison d’Ananie) les Drs Pichet et Amieux, le P. Garrigou-Lagrange, etc… Le Père Ghika vint souvent chez les Maritain y célébra la messe et prit soin de la mère de Raïssa. Prêtre, il avait pour directeur spirituel Mgr Beaussart et quand il était à Rome, il voyait le P. R. Garrigou-Lagrange.

A PARIS, A L’EGLISE DES ETRANGERS

Vladimir Ghika, prêtre, fut nommé à l’Eglise des Etrangers dont il devint le Recteur en 1931. Il avait des prédispositions pour occuper un tel poste grâce à sa connaissance des langues. Selon le témoignage de Jean Daujat et aussi de celui de Louis Massignon, son ministère fut extrêmement fécond. Nombre de conversions y ont été visibles. Jean Daujat parle aussi de la méthode d’apostolat : « Il n’a employé aucune technique… que d’être un saint et de compter sans limite sur la grâce de Dieu et l’efficacité infinie de la messe qui renouvelle le sacrifice de la croix ».

Pour la sanctification du clergé et le retour des prêtres déchus, le Père Ghika se trouva, avec Yvonne Estienne, au point de départ de Virgo fidelis, fraternité spirituelle de prière et de souffrance pour la sanctification du clergé qui a connu un grand essor par la suite et une remarquable revigoration de nos jours, y compris en Roumanie.

Son ministère était émaillé de résultats tangibles, saisissants ; Nombre de personnes connues ou inconnues ont trouvé ou retrouvé par son ministère une vie d’enfant de Dieu. La conversion de la mère de Raïssa Maritain mérite d’être rapportée. Citation du journal de Raïssa, 24 février 1925 : « messe par le Prince Ghika. Cette fois, il m’a semblé que la question du baptême pouvait être posée à maman. En un tel jour. Le prince Ghika lui en dit deux mots après la messe, pendant que nous étions encore à la chapelle. En descendant dans la salle à manger, je trouve maman pâle comme un linge. Je vois qu’elle est profondément bouleversée et comme effrayée. Après le départ du prince Ghika, elle me dit qu’il lui a parlé du baptême et qu’elle lui a répondu seulement qu’elle ferait la volonté de Dieu. Puis, il lui a fait promettre qu’elle dirait un Pater tous les jours ». Quelques mois plus tard, le 2 août 1925, la mère de Raïssa recevait le baptême.

Le Père Ghika avait quelquefois ce qu’il appelait lui-même des grâces de conversion-éclair. Jean Daujat et Yvonne Estienne rapportent avoir vu des cas où, les circonstances ne lui permettant que quelques minutes de conversation avec une personne établie depuis longtemps dans l’erreur ou le péché, il arrivait que cette personne demande aussitôt l’absolution, la communion ou le baptême.

La visite aux malades avait beaucoup d’importance à ses yeux. Ainsi pût-il obtenir la conversion d’un grand écrivain roumain, Panaït Istrati, un déçu du communisme à la vie particulièrement cahotique, n’appréciant pas du tout François Mauriac qui lui envoyait des lettres de consolation chrétienne. Istrati se mourait sur un lit d’hôpital, Mgr Ghika va le voir, célèbre la messe dans sa chambre d’hôpital ; le patient communie après s’être confessé et meurt quelques jours plus tard. Pour ce faire, Ghika courut à Bucarest. C’était en 1934.

Au cours de ses visites aux malades, des témoins rapportent des faits que la science médicale ne saurait expliquer. Ghika les attribuait toujours à une relique de la Sainte Couronne d’épines qu’il avait reçue du cardinal Dubois et qu’il portait toujours sur lui et qu’il appliquait aux malades. C’est ainsi qu’un officier paralysé à la suite d’une fracture de la colonne vertébrale fut guéri ; qu’un peintre atteint d’un cancer de la gorge recouvra la santé après avoir assisté à la messe dans sa chambre ; pareillement deux petites filles qui paraissaient mal en point intellectuellement parlant, etc…

Toutes ces activités apostoliques avaient un prix : Ghika payait fort de sa personne. « Les conversions et les transformations d’âmes qu’il obtenait étaient obtenues bien plus par sa prière que par son action. Et il les payait certainement très cher par ses souffrances intérieures car, après certaines conversions de grands pécheurs, on le voyait littéralement épuisé et ravagé ». (Citation de Jean Daujat, l’apôtre du XXème siècle).

SON APOSTOLAT DANS LE MONDE INTELLECTUEL

Les années d’après la première Guerre mondiale ont été marquées en France par une grande fermentation intellectuelle, spirituelle et missionnaire. « Des chrétiens de premier plan, dit Daujat, occupent le devant de la scène, suscitent des disciples, engagent des controverses, se proposent de tout renouveler, ou de retourner aux sources, ce qui constitue souvent la même opération. Saint Thomas d’Aquin est redevenu le plus actuel des philosophes. Jacques Maritain, Etienne Gilson en France, le cardinal Mercier en Belgique sont parmi les animateurs les plus en vue de ce renouveau. Il n’est pas jusqu’à Paul Claudel qui ne s’affirme thomiste… Dans le domaine proprement religieux, les PP Bernadot, Lajeunie et autres fondent et animent une Vie spirituelle qui renouvelle bien des problèmes… Le Père Garrigou-Lagrange, professeur à l’Angelicum à Rome est l’un des solides rochers sur lequel s’appuient les plus jeunes théologiens. Le prince Ghika est mêlé à tous ces courants, sollicité de prendre part à des rencontres, à des confrontations de toutes sortes ». «A Paris, il est en relation avec de nombreuses personnalités du monde de la pensée, des lettres et des arts : Henri Bergson, Jacques Maritain, Henri Massis, Henri Ghéon, René Bazin, Francis Jammes, Paul Claudel, François Mauriac, Henry Bordeaux, Georges Goyau, Louis Massignon, Louis Bertrand qu’il fera entrer dans l’Eglise, Albert Besnard, Georges Desvallières, Louis Chaigne, Renée Zeller, Antoine Lestra, Jacques Debout ».

En novembre 1925, Jean Daujat fonde ce qui sera plus tard le Centre d’Etudes religieuses. Nombre des premiers élèves deviendront des fils spirituels de Vladimir Ghika. Dans son bureau du 33 rue de Sèvres, Jean Daujat réunissait toute une élite de la jeunesse d’alors : le futur R.P. Ménasce, dominicain, le futur jésuite et cardinal Daniélou, le futur R.P. Deslions, Olivier Lacombe, Jean de Fabrègues, Pierre Godmé, Yvonne Estienne. En 1927, Jean Daujat fonda aussi un cercle pour les jeunes filles et demanda au Père Ghika de le diriger, avec Yvonne Estienne qui poursuivit le travail jusqu’en 1934. Au Centre, il ne s’agissait pas seulement d’études, mais de tout un programme de vie, en partant de quelques principes tirés de l’évangile : « vivre la règle de ne jamais rien refuser à aucune exigence de la charité ; tout faire avec l’amour de Dieu pour seul motif ; choisir ce qui va dans le sens des préférences divines ; se rendre disponible pour tout ce qui, par les circonstances, se présente à nous comme un appel de la charité… Cela ne se conçoit qu’en vivant fortement de la présence de Dieu, que Mgr Ghika voyait en tout et qui, par conséquent, représentait l’axe d’un enseignement autour duquel le reste tournait. Apostolat, comme celui de la Samaritaine : « Venez et voyez ». « Mgr Ghika ne cessa pas d’attacher une extrême importance à cette action pour former un laïcat authentiquement consacré ».

En avance sur son temps, il envisage une littérature théologique et spirituelle sérieuse mais en même temps capable d’aller à la rencontre d’un grand public. Plusieurs religieux pressentis refusent de se lancer dans l’aventure. Selon lui, il s’agissait de présenter les réalités de la foi dans la vie et les réalités de la vie dans la foi. Ghika ne renonça pas et écrivit trois petits livres : la Liturgie du prochain en 1924 ; La Présence de Dieu et la Souffrance en 1932. Malheureusement, faute de temps, il ne put continuer.

AUBERIVE

Depuis longtemps, Vladimir Ghika songeait à instituer une Société de frères et de Sœurs, placés sous le patronage de saint Jean l’évangéliste, disponible pour toute activité apostolique, missionnaire et charitable, mais beaucoup plus souple que les congrégations religieuses existantes. Il rédigea des statuts qui furent approuvés par Pie XI en février 1924 sous le nom d’ « Œuvre des Frères et Sœurs de saint Jean, Société auxiliaire des missions ». Celle-ci devait comprendre deux catégories de Frères et de Sœurs – les uns volontairement astreints à une observance plus stricte et plus active des intentions de l’Œuvre, pouvant habiter en commun et formant la « Maison de Saint-Jean » (une pour les Frères, une autre pour les Sœurs) – les autres formant la « Famille de Saint-Jean », une sorte de tiers-ordre , à laquelle appartenaient ceux qui, dans le monde et avec une grande liberté de mouvement, s’associaient aux efforts, aux prières et aux travaux des membres de la « Maison ».

Les Frères et les Sœurs, bien formés dans la spiritualité de saint Jean, devaient être prêts à entreprendre tout travail que la providence leur indiquerait, selon ce que Vladimir appelait la théologie des besoins. Le critère fondamental de vie et d’action serait l’amour de Dieu, en fonction duquel tout le reste allait se définir. Cela ne devait jamais tourner à l’institution, mais garder une fraîcheur tout évangélique.

Auberive est une aventure qui tourna court. Pourquoi ? Parce que le Père Ghika poursuivait plusieurs lièvres à la fois. En outre, au départ, il ne savait pas s’il devait initier sa « Maison » en France ou en Roumanie. Il envoya là-bas deux filles qui se sentirent rapidement abandonnées puisque le Père resta à peine en Roumanie. Après les avoir laissé passer un hiver chez les Filles de la Charité, il les rappela. Ayant acquis Auberive, ancienne abbaye cistercienne de style XVIIIème, il les y installa en mai 1926. Mais la maison était en piteux état. Elles travaillèrent dur secondées par trois autres sœurs qui les rejoignirent en juillet de la même année mais le groupe était loin d’être homogène : trois françaises, une juive polonaise convertie, une grecque. Comme le Père était peu là, il aurait voulu s’adjoindre les services du P. Charles Henrion qui songeait lui-même à former une congrégation dans l’esprit du Père de Foucauld. Le Père Henrion ne donna pas suite, sauf le temps où le Père Ghika se trouvait à Sidney pour le Congrès eucharistique mais au total, il fut absent un an. Auberive au masculin fut des plus éclectiques. On y accueillait tout le monde. Ce furent d’abord des réfugiés russes. Ainsi y eut-il une belle surprise quand le Père partit acheter une vache et revint avec un piano à queue pour satisfaire un refugié russe pianiste d’ailleurs de bon niveau. Dans le même temps, il se produisit un fâcheux accident. Une sœur se brûla au cours de l’hiver 1927 (En Haute-Marne, l’hiver est rude mais celui de 1927-28 fut particulièrement éprouvant). La sœur était donc affreusement brulée au visage. Le médecin déclara le cas grave. Ennuyé, le père vint prier auprès de la victime et lui imposa le reliquaire qui ne le quittait jamais contenant un morceau de la couronne d’épines. Trois jours plus tard, à la surprise du médecin, cette grande brûlée était complètement guérie et ne gardait aucune trace sur son visage.

Aux réfugiés, qui n’étaient pas tous des saints, s’ajoutent plus que ne s’adjoignent des hommes en quête de vocation, donc pas nécessairement voués à devenir des Frères, formant une sorte de propédeutique du séminaire ; en fait, c’était un groupe très disparate où les intellectuels côtoyaient des gyrovagues, par définition, instables, des jeunes. Le tout reposait sur les sœurs qui se demandaient quelle était finalement leur vocation ; contemplatives ou tourières ? Là-dessus, le père sentant un nouvel appel s’installait dans sa baraque de Villejuif. L’évêque de Langres demanda la dissolution du groupe des hommes. Restaient les sœurs. C’était l’année où le Père Ghika était à Sydney, remplacé par le Père Henrion. Des tensions apparurent. Un autre prêtre, le Père Nassoy, des M.E.P., essaya de recoller les morceaux et d’attirer les sœurs dans son Institut des Sœurs des Missions Etrangères qu’il envisageait de fonder. Par malchance, entre temps, l’évêque de Langres meurt qui voyait les sœurs avec sympathie. Toutes ces informations nous viennent de Suzanne-Marie Durand qui fut la première à entrer dans les vues du Père Ghika. Et ce fut la dissolution, chaque sœur allant dans la congrégation pour laquelle elle éprouvait un attrait. Le Père Ghika fut malheureux de l’échec de sa fondation. Il faut reconnaître que le fondateur ne vécut pas beaucoup à Auberive et que sa règle n’était guère praticable tant les objectifs de l’apostolat étaient ouverts. Il demeure que la pluralité des statuts des personnes et des missions, caractéristique de sa Fondation, était une intuition juste en avance sur son temps. Elle connait de meilleurs développements, non sans de très grandes difficultés, avec les nouvelles communautés qui sont nées dans la mouvance de l’après-concile Vatican II.

VILLEJUIF

Villejuif fut une autre aventure cadrée par l’Archevêque de Paris. L’intuition du Père Ghika coïncidait avec le souci pastoral manifesté par un curé de la banlieue. De plus, le pape approuvait. Grâce à un industriel, il monta un baraquement en trois parties : chapelle, pièce à tout faire, chambre. Nous sommes en 1927. Le confort est rudimentaire et comme par hasard les hivers rigoureux. Il s’installe dans cette zone hostile près de la porte de Villejuif et démarre très modestement au contact d’enfants qui venaient pour voir. De proche en proche des adultes s’apprivoisaient, il leur rendait service ; ils assistaient à la messe, parfois par curiosité. Le Père ne manquait pas de proclamer la bonne nouvelle, des conversions se produisirent. Tout cela ne se faisait pas sans aventures dont la moindre était que la baraque fut cambriolée. Il déployait beaucoup d’ingéniosité pour approcher des gens qui n’étaient forcément des mieux disposés vis-à-vis de l’Eglise et de ses prêtres.

A ce régime sa santé avait du mal à suivre. Pourtant, il bénéficiait de l’appui discret et efficace de la famille Genin grâce à qui il avait pu s’installer sur cette ligne de fortif. Sa vie entre le Kremlin-Bicêtre et Villejuif lui donnait l’occasion d’un approfondissement spirituel. Il écrivit des pages admirables sur sa manière d’approcher les gens, ayant en horreur la condescendance. Mais il faisait autant attention à la dignité des personnes qu’il visitait qu’à la sienne propre, estimant que le prêtre devrait savoir que par son sacerdoce il est un grand seigneur dans l’Eglise de Dieu. Son départ est loin de signer un échec. En effet, quelques années plus tard, une paroisse fut érigée, puis une église en dur fut construite qui a bientôt 80 ans d’existence. Le Père Ghika dût se retirer pour cause de maladie. Quand il fut rétabli, l’Archevêque le nomma recteur de la Chapelle des Etrangers où il avait été affecté dès son ordination en qualité de chapelain, pensant le fixer et lui enlever toute idée de retour à Villejuif. Dans le même temps, le Pape le nommait Protonotaire apostolique sopranumerario.

UN APERCU SUR SON ACTIVITE VISANT L’UNITE DE L’EGLISE

On a vu que l’unité de l’Eglise était son souci majeur tant lors de sa profession de foi qu’à son ordination sacerdotale. Il sera prêtre dans les deux rites latin et byzantin. On sait que son apostolat en Roumanie avec les Filles de la Charité s’exerçait sans discrimination aucune, bien au contraire. Il était en effet persuadé d’une chose, c’est que l’exercice de la charité est le lieu d’une noble émulation entre les chrétiens de différentes confessions. Il anticipait ainsi l’œcuménisme des œuvres cher au Bienheureux pape Jean-Paul II.

Le Père Ghika participe aux Conversations de Malines dont il connaissait les protagonistes à commencer par le cardinal Mercier. Il est de toutes les manifestations du courant œcuménique, apprécie les travaux des Dominicains à Lille et ceux de Chèvetogne avec dom Lambert Beauduin.

Sa conviction profonde : c’est la sainteté qui fera l’unité. Sainteté d’amour qui suppose qu’on fasse tomber tous les préjugés. Il a le souci que les catholiques latins connaissent le rite byzantin. A cette fin, il traduit la messe byzantine (il vaudrait mieux dire : la Divine liturgie) dite de Saint Jean Chrysostome en français. Il est amené à célébrer en rite byzantin avec les réfugiés russes, spécialement à Auberive où il avait fait transformer la chapelle. Mais il est certain qu’il a été un agent très actif de la Commission pontificale créée tout exprès pour les réfugiés. Beaucoup furent hébergés à Auberive.

Yvonne Estienne explique : « Chez les orthodoxes, que ne tenta-t-il (Ghika) pas pour assurer une œuvre de liaison et de connaissance réciproque entre l’Orient et l’Occident, dans le souci de ramener à l’unité de l’Eglise ceux de nos frères qui en sont encore séparés ? Là aussi des conversions, poussées pour plusieurs jusqu’à l’ordination, ont confirmé le succès de cet apostolat. »

Il faut remarquer que les gens qu’il amenait à la foi catholique étaient en général des personnes qui venaient de très loin – sans véritable vie chrétienne, sans attachement à une confession. Le Père respectait ceux qui avaient une conviction. Ainsi en fut-il à l’endroit de sa vieille gouvernante suisse calviniste. On sait qu’il entretint des rapports cordiaux avec les moniales orthodoxes de plusieurs monastères de Moldavie, spécialement pendant la Seconde Guerre mondiale, comme nous le verrons quand nous aborderons la troisième période de sa vie.

L’amour de Vladimir Ghika pour Dieu et pour l’Eglise, sa confiance illimitée dans la puissance de la grâce, lui donnaient la certitude que l’Unité de l’Eglise allait se réaliser. Il voyait dans le martyre des millions de chrétiens orthodoxes persécutés à l’Est par les régimes communistes la garantie d’une véritable résurrection qui, dans la logique du mystère pascal, allait mener à l’unité retrouvée.

SES VOYAGES

Il existe des gens qui aiment voyager et des gens qui n’aiment pas voyager. Vladimir Ghika appartient à la première catégorie. N’oublions pas que les conditions de voyage n’étaient pas celles d’aujourd’hui. Aujourd’hui, les déplacements sont rapides ; d’un pays à l’autre, on ne se déplace plus guère qu’en avion. D’une certaine manière, le voyage aujourd’hui est plus brutal ; il peut être fixé sur un objectif tel qu’on passe à côté des réalités non seulement culturelles mais aussi à côté des personnes sans les rencontrer, même les voir. Les trains et les bateaux avaient un autre rythme ; il n’était pas question, en ce temps-là, de faire un aller et retour dans la journée sur Bruxelles, Rome ou Budapest. Sauf les migrants déjà nombreux à cette époque – je parle de l’entre-deux-guerres – les voyageurs prenaient le temps d’atteindre leur objectifs et de rencontrer les gens. A cet égard, le rang de Vladimir lui donnait de rencontrer des personnes de qualité un peu partout. Cependant, il existait de grosses différences entre les voyages suivant qu’on les effectuait en première ou en troisième voire quatrième classe. Et il arrivait à « notre vagabond de Dieu », selon le mot de Pie XI, de voyager dans des conditions très modestes. Cela est dit pour mettre les idées en place. Cependant, les voyages peuvent être éprouvants comme, par exemple, celui qu’il fit à Goma en l’actuelle République démocratique du Congo.

Il est vrai que Vladimir avait plusieurs pôles dans sa vie. Depuis toujours, Paris et Bucarest formaient un axe, puis Rome surtout et Bruxelles devinrent des lieux d’étapes fréquents. En outre, il ne craignait pas, se rendant à Varsovie de faire un crochet par Copenhague ! Il était capable de prendre le train pour aller voir une personne qu’on avait recommandé à sa sollicitude pastorale. Jamais, il ne voyageait « pour rien ». Il entretenait un formidable réseau de connaissances et d’acteurs avec qui ou par qui son action eut des effets déterminants dans cet après-guerre (je parle de la 1ère Guerre mondiale) étonnant.

Mais, ses voyages les plus importants ont été commandés par son rôle au Comité directeur des Congrès eucharistiques internationaux. Il faisait un voyage lointain à peu près tous les deux ans : Sidney en 1928, Carthage en 1930, Dublin en 1932, Buenos Aires en 1934, Manille en 1937 et Budapest en 1938.

Au Congrès de Sidney, il fit une remarquable conférence sur « La Sainte Vierge et le Saint Sacrement » dont voici un extrait :

« Nous sommes venus redire ici, à l’autre bout du monde, deux choses: qu’un même pain de vie, qui est le corps du Christ, nourrit pour la vie éternelle les âmes de tous les peuples sous tous les cieux et durant tous les siècles; et que nous voulons crier merci à celle qui nous l’a procuré. […] Ce que nous

devons à Marie à propos de l’Eucharistie est d’un ordre infiniment plus élevé et d’une liaison plus intime que tout autre bienfait venu à nous par son entremise. [ … ] Pourquoi entre tous les sacrements et les bienfaits du Dieu vivant, dus indirectement à celle qui nous a donné notre Sauveur, cette place à part et ce rapprochement poussé à l’extrême avec un seul d’entre eux? [ … ]

À cause de cette relation spéciale de la Sainte Vierge et du sacrement qui nous présente son fils, il est deux étapes dans le mouvement de notre pensée vers le double sujet qui nous occupe. L’une s’étend à l’œuvre du fiat dans un passé continué, perpétué, et se rapporte à celui qui nous est donné dans le Sacrement; l’autre se réfère au Sacrement lui- même. Et la première, qui paraît s’éloigner quelque peu du sujet et de l’occasion, en est au contraire la condition même et la voie d’accès. L’Eucharistie n’est que l’Incarnation perpétuée, et le fiat qui a produit, par l’opération du Saint-Esprit, la venue du Sauveur parmi nous est le point de départ qui s’impose d’abord inévitablement à notre pensée.»

Buenos Aires l’enthousiasme par la qualité de la réponse du peuple argentin au Congrès : il y voit toute la nation argentine rassemblée.

C’est en 1933 que Vladimir Ghika fit son premier voyage au Japon. Grâce à l’amiral Shinjiro Yamamoto, héros de la guerre russo-nipponne, en 1903, et ami personnel de l’empereur, il fit la connaissance de l’abbé Totzuka, médecin japonais devenu prêtre, qui, de retour au Japon en 1922, avait fondé une association pour la conversion de ses compatriotes, dans l’esprit de l’Œuvre de Saint Jean, secondé par Violette Sussman dont nous avons déjà parlé. Comme Mgr Hayasaka, évêque de Nagasaki, et Mgr Chambon, Archevêque de Tokyo, voulaient fonder un Carmel au Japon, Mgr Ghika, par l’intermédiaire de nos deux japonais, fut conquis par l’idée d’autant plus que le pape l’approuvait. C’est ainsi qu’il partit comme aumônier bénévole du groupe de huit carmélites de Cholet, le 13 janvier 1933. Ce carmel a très bien marché. Ghika profite de son séjour pour visiter les œuvres de l’abbé Totzuka et put entrer en contact avec des catholiques du pays, surtout des intellectuels. Au vu des conférences qu’on lui demanda de donner, le rayonnement de la France à l’autre bout du monde en ce temps-là est impressionnant. Il me semble que Paul Claudel fut en poste là-bas. Grâce à Shinjiro Yamamoto, il est reçu en audience par le Mikado qui lui fait confidence de son souci dynastique, n’ayant pas d’enfant mâle. Mgr Ghika le bénit – sorte de transgression sacrilège du protocole au temps où l’empereur du Japon était considéré comme dieu qui faillit mal tourner, les officiers assistant à l’audience avaient déjà dégainé leur sabre – et, neuf mois après, l’héritier du trône impérial voyait le jour ! Mgr Ghika retournera au Japon en novembre 1936 et y restera jusqu’au début de l’année suivante, au moment du Congrès de Manille.

Il est permis de se demander comment Mgr Ghika faisait pour assumer sa charge de Recteur de la Chapelle des étrangers que lui avait confiée le cardinal Dubois. En réalité, Mgr Chaptal, évêque auxiliaire de l’Archevêque de Paris, en avait pris les rênes et Mgr Ghika se contentait de le seconder. En outre, il allait souvent à Bruxelles, où son frère était nommé, et avait trouvé le moyen d’être attitré à l’église des Servites, rue Washington !

ACTIVITE EN FAVEUR DES LEPREUX

A l’occasion de son second voyage au Japon, Mgr Ghika avait été bouleversé par la visite d’une léproserie installée par des amis. Il y célèbre à Noël la messe de minuit. « En donnant la communion aux lépreux, dit-il, je ne pouvais pas toujours reconnaître le dessin de leur visage dans ces faces mutilées et je ne savais pas où déposer l’hostie ». Du coup, de retour à Paris, il se met à étudier sérieusement cette maladie au pavillon de Malte de l’hôpital Saint-Louis à Paris. Il active ses amis Maritain et Claudel. Il envisage même une fondation en Roumanie, où il y avait déjà un lazaret dans le delta du Danube, dont l’état était pitoyable. Dans le même temps, les dames de Charité orthodoxes de Bucarest avaient fait une demande pour obtenir l’aide des Filles de la Charité. Et c’est ainsi que Mgr Ghika part en Roumanie où il arrive le 3 août 1939, flanqué d’une équipe de médecins français… pour apprendre qu’au projet français, on avait préféré le projet d’une fondation allemande pour s’occuper du Lazaret d’Isaccea.

Dès lors, sa présence en Roumanie n’avait plus d’autre raison que de passer des vacances avec son frère Démètre. Il s’y attarda quelque peu de sorte que, à la fin de l’année 1939, il écrivait à M. de Maupeou, le père du futur Père Daniel-Ange (qui prononcera une conférence sur Mgr Vladimir Ghika au Collège des Bernardins, le 7 avril prochain à 15 heures) : « Si Dieu me le permet, je pense me diriger vers l’époque de Pâques de votre côté, avec une halte possible à Rome pour aller voir le Saint-Père »

Dans le même temps, des événements mondiaux s’annonçaient qui ne laissaient prévoir rien de bon. Malgré cela, Mgr Ghika restait optimiste, « d’un optimisme surnaturel », disait-il, et ne doutait pas du succès de la bonne cause « en dépit de toutes les neutralités poisseuses des gouvernements européens et de toutes les violences du consortium Hitler-Staline. » (Même courrier).