S.S. François est au Brésil cette semaine pour les J.M.J. Le sujet que la plupart des médias voudrait retenir comme thème principal de ses interventions (Cf. New York Times du 21) est la « Justice sociale ». Il parlera certainement de pauvreté et de solidarité — thèmes récurrents dans ses discours et homélies. Mais si l’évêque de Rome se restreignait à ce qu’Albert Camus surnomma un jour « l’amuse-bouche habituel », non seulement il œuvrerait bien loin de ses compétences, mais négligerait sa tâche essentielle : l’évangélisation, c’est à dire le salut éternel des âmes.
Sachant la faculté du pape François à combiner une simplicité de vie et des appels d’une haute spiritualité en vue des réformes, le thème favori des médias, la justice sociale, est le dada facile à chevaucher. Ce qu’on constate avec cette histoire de « thème principal ». En vérité, le but du voyage est de rencontrer les participants aux J.M.J. Et de leur parler, il s’agit d’une conférence avec les jeunes catholiques…
Si ce genre de stupidité sophistique peut paraître dans notre ”livre des records”, il sera amusant de voir ce qui jaillira des ordinateurs portables des journalistes allant à la pêche aux commentaires..
Les J.M.J., créées par Jean-Paul II, se tiennent depuis 1985. En 1995 à Manille cinq millions de jeunes se réunirent, constituant le plus important rassemblement au monde, selon le Livre Guinness des records. Des dizaines de millions se sont réunis ailleurs au fil des années, dont un million à Paris.
L’Église catholique du Brésil est confrontée à un grave déclin chez les jeunes. L’Institut Pew 1 a signalé la semaine dernière que plus de 20% des Brésiliens (le Brésil est le pays comptant le plus de catholiques au monde) ont abandonné leur Église au profit de groupes évangélistes et pentecôtistes, en pleine expansion de par le monde ; le Saint-Père le sait bien et en parlera. Pourquoi tiendrait-on des J.M.J. si on ne voulait parler que de justice sociale ?
Mais les journalistes d’une certaine caste dominante ne sauraient s’intéresser sérieusement à l’évangélisation des jeunes. Alors, au lieu de nous informer avec précision sur l’objet central du voyage, on nous explique qu’au-delà de ce thème propre, le Pape pourrait bien annoncer une « trève » avec la théologie de libération.
Une preuve ? Il a autorisé la poursuite du procès en canonisation de Mgr Oscar Romero, archevêque Salvadorien. Mais on oublie que Mgr Romero, assassiné par des tueurs du gouvernement alors qu’il célébrait une messe, se gardait bien, tout comme le pape François, d’adopter la ”théologie de libération” marxiste tout en défendant la cause des pauvres et des opprimés.
Au lieu de ces démonstrations inconsistantes, il faut s’en tenir aux faits. Le Brésil est agité actuellement, la jeunesse s’élève contre la corruption, le gaspillage, la pauvreté des moyens alloués à l’instruction et à la santé, et les pratiques policières. La décision d’accueillir la Coupe du monde en 2014 et les J.O. d’été en 2016, entraînant des dizaines de millions de dépenses, a déclenché des manifestations.
Selon des sources dignes de foi, le pape François incitera les jeunes à se consacrer avec zèle pour obtenir un meilleur usage des richesses et un meilleur gouvernement pour les gérer.
À ce propos, le gouvernement contre lequel protestent les jeunes est dirigé depuis une dizaine d’années par la gauche radicale. Luíz Inácio Lula da Silva (« Lula ») et son Parti des Travailleurs prirent le pouvoir en 2003. Son bras droit Dilma Rousseff lui a succédé en 2011. Tous deux ont été plus modérés une fois au pouvoir que précédemment. Tout comme le président Obama, ils ont découvert qu’il n’y a pas de réponses simples aux graves problèmes économiques et politiques, actuellement marqués par des facteurs tant mondiaux que locaux.
Le Brésil est membre du « Club des BRIC » avec la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, groupe en pleine croissance économique (5% de rythme annuel). Il suit un schéma typique — richesse croissante entraînant paradoxalement une révolution due à des attentes grandissantes.
Le Saint-Père sait combien d’espoirs naissent avec la croissance — unique moyen pour aider davantage les pauvres. Alors cardinal-archevêque de Buenos Aires, il rejetait la théologie de libération en raison de ses principes marxistes. Il n’y a pas de méthode plus efficace pour condamner les pauvres à rester pauvres que d’imposer une économie dirigée comme celles qui ont appauvri et aliéné les populations du bloc soviétique.
Mais même ce qui peut sembler une saine solidarité peut rapidement se révéler un désastre, comme on vient de le constater avec le drame récent de Detroit. En son âge d’or, la capitale de l’automobile a promis ce qu’elle croyait éternel. En fait, un juge vient de déclarer illégal le dépôt de bilan de la ville car une loi de l’État du Michigan interdit de faire baisser les revenus des fonctionnaires. À jamais. 2
On parle déjà de faire appel à l’Église, ou aux églises, ou à ”nous” pour le sauvetage de cette pauvre ville malheureuse. Idée pleine d’humanité. Mais une première question se pose : comment ?
Lorsque le Chancelier allemand Willy Brandt rendit visite au Brésil au cours des années 1970, un archevêque lui demanda d’obliger les usines Volkswagen implantées au Brésil à verser les mêmes salaires que ceux payés en Allemagne. Tout Social-démocrate qu’il était, Willy Brandt souligna qu’une telle mesure résoudrait le problème du chômage en Allemagne puisque les usines en questions seraient rapatriées. Ce qui ne ferait guère les affaires des Brésiliens.
Quiconque, chrétien ou non, veut s’impliquer dans la tâche de redresser l’économie doit être parfaitement modeste et incorrigiblement réaliste. Si la passion morale pouvait suffire, la quasi-sainte Dorothy Day aurait sauvé bien des pauvres 3.. Ses idées politiques et économiques ne menaient nulle part — et pour cause — car ne pouvant bénéficier aux gens qu’elle voulait tant aider.
La chasse à la pauvreté implique une croissance économique et même une recherche de profit véritable, ce que beaucoup de catholiques réformistes considèrent comme un problème et non une solution. Mais c’est la bonne vieille industrie capitaliste de l’automobile qui fit de Detroit une métropole florissante.
Le pape François ne trompe personne. S’adressant aux jeunes venus cette semaine des quatre coins du monde, il leur dira qu’un devoir essentiel de chrétien consiste à prendre souci des pauvres et à chercher les différents moyens d’améliorer leur condition. Mais il leur parlera de beaucoup d’autres choses qui font la plénitude de la vie chrétienne.
Cherchez bien, vous n’en trouverez sans doute pas trace dans les médias.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/pope-francis-brazil-and-the-lessons-of-detroit.html
Pour aller plus loin :
- NDT : organisme d’étude et analyse des questions religieuses
- NDT : la ville de Detroit, berceau de l’industrie automobile, vient de se déclarer en faillite.
- NDT : journaliste militante catholique, après un parcours anarcho-gaucho-cahotique, elle a mené des campagnes en faveur des miséreux et sans abris, au nom de la justice sociale. Son procès en béatification est en cours