Une alternative à l'humanité - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Une alternative à l’humanité

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Le livre de Josef Pieper, La Fin des Temps, (Paris, Desclée de Brouwer, 1953), commence par deux citations. La seconde est du poète allemand, Konrad Weiss. On y lit :

« La volonté, qui est aujourd’hui de plus en plus grande, de créer une condition qui contiendrait en son sein une essence exemplairement complète de l’humanité et une paix durable, est grevée par le lourd paradoxe que ce n’est pas l’humanité qui est l’objectif de l’Incarnation. »

Weiss parle d’une « volonté » qui se renforce. Cette « volonté » veut prendre le contrôle de toute l’humanité. Une fois cette incorporation accomplie, nous aurons la «paix». L’homme et seulement l’homme sera chargé de l’homme. Mais la «volonté» de qui exactement cherche cela ?

Evidemment, selon Weiss, ce n’est pas la «volonté» qui était responsable de l’Incarnation. En d’autres termes – ô mânes d’Augustin – nous avons deux volontés contradictoires à l’œuvre parmi nous. Chacune cherche à clarifier et compléter ce qu’est l’homme.

L’Incarnation signifie que Dieu ne devient pas «l’humanité», mais cet homme précis, le Christ, né d’une femme, dans un temps et un lieu déterminés. « L’humanité » est une abstraction issue d’une abstraction – Socrate-homme-humanité. L’humanité n’est pas « née », c’est une forme mentale, valable pour ce qu’elle est. L’humanité inclut tous les hommes en un concept unique sans nécessairement identifier une personne particulière. Marx a appelé cela « l’espèce-homme. » Weiss a eu raison de penser que ces deux compréhensions sont opposées l’une à l’autre.

La compréhension de l’homme qui découle de l’Incarnation sait que ce que c’est que d’être un homme est une donnée. « La politique ne fait pas en sorte que l’homme soit un homme », disait à juste titre Aristote, « mais, le prenant de la nature comme déjà homme, fait en sorte qu’il soit un homme bon. » Certains esprits refusent de comprendre l’homme comme « déjà homme » sans leur apport. Cette « nature non donnée » devient le présupposé moderne de la liberté – rien d’autre que ce que je veux. En d’autres termes, ce que c’est qu’être homme n’est pas pris comme une donnée. Bien entendu, l’idée que ce que c’est que d’être homme est une donnée est conçue comme une menace contre « l’humanité ». Pourquoi cela ?

J’écris à la lumière des décisions récentes de la Cour suprême qui, au fond, sont motivées par cette « volonté » de faire de l’homme, par le droit positif, quelque chose d’autre que ce qu’il est par nature. L’esprit des juges peut, à première vue, sembler être le leur propre. Mais ils dépassent une « volonté » qu’ils ne reconnaissent pas. Cette volonté est reliée à une intelligence qui « sait » ce qu’elle fait, une intelligence qui déteste l’idée que l’homme est une donnée. L’esprit moderne est en mesure de redessiner l’homme à cause de la conjonction : pensée moderne et technologie moderne.

La parole de Weiss était perspicace. Cette « volonté » moderne exige « l’essence complète de l’humanité ». C’est à dire qu’elle ne permet aucune possibilité, pour une compréhension de ce qu’est l’homme, autre que la formulation de sa propre volonté. Elle veut non seulement ôter l’idée qu’il existe une compréhension juste et supérieure de ce qu’est l’homme, mais elle cherche à interdire toute expression de cette alternative.

Le «discours de haine» que l’on voit de plus en plus appliqué à l’égard du contenu de la Révélation n’est pas un hasard. «L’essence complète de l’humanité» ne permet pas d’alternative à son propre ordre du jour. Elle insiste sur la production d’une humanité fermée à tous les signes de l’Incarnation qui pourraient nous guider vers une juste compréhension de l’homme.

Dans son nouveau livre, Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres, le philosophe français Rémi Brague écrit: «ce qui est personnel en nous nos pèche par le refus de vivre hors de la liberté personnelle et par la recherche pour posséder ce qui en nous est naturel. » je suis frappé que « cette recherche pour posséder en nous ce qui est naturel « est la préoccupation de Weiss sur la volonté de définir et ainsi de contrôler « l’essence de l’humanité ». Nos classes politiques se considèrent comme libres de recréer l’homme en totale contradiction avec ce qu’il est, parce qu’aucune compréhension de l’homme n’est admise, hormis comme un concept vague dont le contenu doit être rempli par l’homme, et non pas découvert à partir de la nature comme déjà donné.

Cette «volonté» qui « grandit » pour créer une humanité meilleure que celle qui est donnée dans la nature et confirmée par l’Incarnation est obligée logiquement de chercher, étape par étape, à affirmer comme «bon» chaque acte et mode de vie qui était vu comme mauvais dans la nature. Ainsi, le contenu de la nouvelle humanité ne vient pas réellement de l’homme mais de son opposition à quiconque formulerait ce que c’est que d’être homme, en premier lieu.

Le « paradoxe lourd » de l’Incarnation est en évidemment un « fardeau » que l’humanité nouvelle porte, puisqu’on ne peut jamais vraiment traiter avec des êtres humains ordinaires et leur destin transcendant mais seulement, à commencer par l’amour et la famille, les refondre dans des formes qui sont directement opposées à cet être incarné dans lequel se trouve le bien ultime de l’homme.


James V. Schall, SJ, qui est professeur à l’Université de Georgetown depuis trente-cinq ans, est l’un des écrivains catholiques les plus féconds en Amérique. Ses livres les plus récents sont :

The Mind That Is Catholic: Philosophical & Political Essays, Washington: The Catholic University of America Press, 2008

The Modern Age, South Bend, IN: St. Augustine’s Press, 10 décembre 2010

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/on-the-alternative-to-humanity.html

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Gravure : L’ange Saint Michel combattant Satan, par William Blake (vers 1805)