Le mariage devant la Cour Suprême: menaces de restrictions judiciaires - France Catholique
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La justice de Dieu
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Le mariage devant la Cour Suprême: menaces de restrictions judiciaires

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L’ouvrage de G.K. Chesterton What I saw in America (ce que j’ai vu en Amérique) relate ses impressions à la vue de Broadway le soir à New York. Il s’émerveillait de l’utilisation en ce lieu de la couleur et de la lumière, don de Dieu, et des panneaux publicitaires aveuglants. « Ce serait un si beau jardin de merveilles — disait-il — pour celui qui aurait la chance de ne pas savoir lire.»

On aurait pu dire de même en assistant dans la salle d’audience de la Cour Suprême cette semaine [fin juin 2013] à la lecture de la sentence concernant le mariage. La dignité du lieu, les règles de courtoisie et le décorum étaient de toute évidence mis en valeur et particulièrement respectés. Et pourtant, le raisonnement énoncé n’était qu’une parodie des principes de la loi que cet édifice était conçu pour l’abriter et la mettre en valeur.

Suite à l’arrêt de cette semaine, j’ai commenté une des décisions, U.S. v. Windsor par laquelle la Cour réduisait à néant la section 3 du « Defense of marriage Act » (« DOMA » : Décret de protection du mariage) de 1996. Dans cette section le Congrès avait stipulé que toute référence au mariage dans le code fédéral ne concernerait que l’union légale d’un homme et d’une femme.

Le juge Kennedy écrivit que la Cour, en abrogeant une loi qui, déclarait-il, rabaissait et « humiliait » gays et lesbiennes en refusant implicitement d’accorder à leurs relations la dignité d’une union matrimoniale. Kennedy feignait de proposer un jugement à portée limitée: il ne toucherait pas à la Section 2 confortant l’autorité d’un État qui refuserait de reconnaître un mariage homosexuel contracté dans un autre État. Il devait certes être aussi grave pour un État de porter un jugement moral négatif et de refuser la légitimité d’unions homosexuelles.

Dans l’affaire conjointe de Hollingsworth v. Perry 1 la majorité des juges feignit aussi d’agir avec pondération, proposant un modèle virtuel de limitation judiciaire. La Cour décidait ainsi « de ne pas décider ».

Cette affaire remonte à la célèbre « Proposition 8 » en Californie. Par referendum les électeurs californiens ont approuvé un amendement à leur Constitution, affirmant que le mariage ne peut désigner que l’union d’un homme et d’une femme. Mais naturellement cet amendement (Proposition 8) fut attaqué devant une cour fédérale, et un juge bienveillant, homosexuel notoire, rejeta cet amendement à la Constitution.

C’est alors que les choses se compliquèrent. Le pouvoir exécutif de l’État (le gouverneur Brown) refusa de soutenir l’amendement devant la cour. Les auteurs de la proposition s’avancèrent alors, souhaitant se substituer au gouverneur pour soutenir cet amendement devant les tribunaux.
La Cour suprême de Californie accepta que, suite au refus du gouverneur, les auteurs de la proposition soient fondés à soutenir une mesure qu’ils avaient aidé à mettre en forme et à faire adopter. Sinon le principe d’initiative par referendum serait bafoué.

Mais c’est essentiellement ce qui vient de se produire alors que la Cour Suprême refusa d’entendre les auteurs de la proposition. Le premier Juge Roberts précisa que les cours fédérales devaient suivre leurs propres règles distinctes de fonctionnement, et que ces règles avaient pour objet de limiter les compétences des dites cours à des « affaires sujettes à controverse ». Les demandeurs auraient donc à apporter la preuve de leur intérêt direct et « personnel » en la matière.

Les auteurs de la Proposition 8 s’étaient bien fortement investis dans l’affaire avec le souci du bien des citoyens, mais ne seraient personnellement lésés en rien dans leur vie personnelle si la Cour ne suivait pas leur requête.

Il y a là une nouvelle assymétrie: un gouverneur d’État pourrait abroger une partie de la constitution de son État — ou une partie des lois de son État — en refusant de les défendre si elles étaient attaquées devant une cour fédérale.

Il suffit donc désormais à un couple de gays ou lesbiennes d’attaquer la constitution dans un État qui récuse constitutionnellement le mariage homosexuel. Si cet État a un gouverneur de gauche refusant de défendre cet élément de la constitution, ce sera suffisant pour en dire la nullité.

La Cour Suprême a statué: l’affaire Windsor n’a plus à être soumise à la justice. Tous arrêts devraient être annulés, ne laissant valable en ce cas que l’arrêt initial de la Cour de District. Le jugement serait définitif pour les plaignants, aucune autorité ne pouvant faire appel devant une autre cour.
Mais le gouverneur Brown fit aussitôt savoir qu’il donnerait des instructions à l’état-civil pour enrgistrer les mariages homosexuels dans tout l’État [de Californie], et des couples se sont déjà précipités pour se marier.

Au-delà des tragédies de cette semaine, une leçon est à retenir pour nos amis attachés à la jurisprudence conservatrice. Ils aimeraient croire que les juges prennent au séreux les limites de la loi — que Kennedy a anéanti la Section 3, et non la Section 2; que Roberts laisse la porte ouverte aux contestations dans les autres États.

Mais ils ne voient pas que le jugement moral porté par ces arrêts a sa propre dynamique, qui risque de balayer toutes les barrières défendues par la loi.


Photo : Manif devant la Cour Suprême le 26 juin 2013 : « l’Amérique est flouée.»

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-court-and-marriage-ii-the-pretenses-of-judicial-restraint.html

  1. NDT: Affaire débutant en mai 2009 et conclue le 26 juin 2013 par le rejet de l’interdiction du mariage homosexuel en Californie