Les trois Femen européennes qui avaient manifesté leur solidarité avec la Tunisienne Amina ont été sévèrement condamnées, puisqu’elles devraient accomplir quatre mois de prison. Je compatis à leur sort et aurais préféré que les juges fassent preuve à leur égard de clémence. Ce n’est pas parce que certaines actions de ce groupe activiste m’ont personnellement blessé dans ma sensibilité que je suis prêt à m’engager dans des opérations de représailles. Et si la justice est saisie aussi en France, que le droit soit annoncé simplement et que les Femen soient épargnées. Il m’est arrivé de dire que certaines de leurs causes étaient justifiées, lorsqu’elles dénonçaient des situations d’exploitation et de graves atteintes à la dignité de la femme.
Cela n’empêche pas que j’ai des objections sérieuses à propos de leur style de combat et la philosophie qui l’inspire. Il est vrai qu’à l’origine, en Ukraine où le mouvement est né, le caractère insupportable de criantes injustices expliquait les réponses assez musclées des Femen. Mais ce qui se conçoit dans un certain climat n’est pas transposable purement et simplement à Notre-Dame de Paris, par exemple. Toutes les provocations ne sont pas admissibles et elles deviennent carrément détestables lorsqu’elles mettent en scène une idéologie qui associe un progressisme agressif à l’injure à l’égard des personnes et des convictions d’autrui. Nous ne sommes pas loin alors de la propagande totalitaire et du nihilisme moral, sous couvert de libération.
Ce n’est pas par hasard qu’en France, ces dernières semaines, un autre mouvement féminin, les Antigones, est apparu en opposition au style et à la pensée Femen. La belle figure de la tragédie grecque est pleine de sens en contraste avec la grossièreté verbale et l’irrespect. Un mot pour finir à propos de la nudité. J’entends un peu partout qu’elle signifierait le refus de la dépossession de son corps. Mon corps m’appartient et n’est sous la férule de quiconque. Je peux approuver ce langage, mais jusqu’à un certain point. Le corps n’est pas n’importe quelle propriété. Je ne le possède pas comme je possède un paquet de chewing-gum ou même un bien précieux, une maison ou un collier de perles. Il ne relève pas de l’avoir mais de l’être. Je suis tout entier mon corps et c’est lui qui exprime mon être le plus essentiel. Il ne saurait donc être marchandisé ou même exposé comme un objet publicitaire. Et puis la nudité de l’art reflète la gloire de la femme. J’ai peur que trop d’utilisation idéologique ne tourne à la gloire flétrie.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 13 juin 2013.