Vous êtes directeur de l’hebdomadaire France Catholique et, de temps à autre, vous publiez quelques livres. Avec « La mauvaise tête de Henri IV », de Philippe Delorme, vous êtes loin de vos préoccupations habituelles. Comment choisissez-vous les livres que vous éditez ?
Jusqu’à présent, je ne me suis pas considéré comme éditeur. Simplement, je me suis rendu compte que diriger un hebdomadaire, même si celui-ci n’a rien à voir avec les grands comme L’Express ou Le Point et même, dans un registre qui nous est plus proche, Famille Chrétienne ou La Vie, donnait du « pouvoir ». Non pas celui de l’argent, qui nous manque toujours, mais celui des amitiés renforcées au fil des années et notamment dans le milieu de l’édition. Ma rencontre avec la petite équipe, très diverse et bien soudée des éditions Salvator, m’a permis d’apprendre quelques ficelles de ce métier. Et je me suis rendu compte que nous avions la possibilité d’éditer correctement quelques livres. Pas question bien sûr d’établir des collections, de recevoir des manuscrits, voire des auteurs que je ne connaîtrais pas… Je n’ai aucun temps pour cela. En la matière, mon seul vrai fil directeur a été d’essayer de nous rendre utiles à des amis proches, avec le sentiment, parfois, de pouvoir réparer une injustice…
Quelle injustice ?
Le mot est peut-être trop fort. Mais quand nous avons réédité Jean de Fabrègues c’était bien le sentiment que la mise en « enfer » de l’ancien directeur de France Catholique n’était pas juste. Nous avions un désir de réhabilitation. Cependant, nous n’avons pas rencontré un nouveau public. Nous avons sans doute mal mesuré l’effet « Price minister » qui fait qu’aucun livre ancien n’est plus jamais vraiment épuisé mais reste indéfiniment disponible sur Internet à des prix cassés…
Là où nous avons eu le sentiment de faire quelque chose de « grand », c’est quand nous avons permis à Brunor, qui portait le rêve de grandes bandes dessinées classiques sur des thèmes de discussion théologique ou sur les rapports entre science et foi, de faire effectivement ces albums, en couleurs, sous couverture cartonnée à des tirages importants, bref ce qui coûte le plus cher et comporte donc le maximum de risques… Les éditeurs « normaux » religieux ou laïcs restaient très hésitants… Brunor est un autodidacte à la croisée de plusieurs domaines de connaissance très spécialisés, qui ne se parlent pas, ne se respectent pas et ne laissent personne empiéter sur leurs secteurs respectifs ! Il fallait être hors de tout sérail pour subodorer tout l’intérêt pédagogique de sa démarche. La reconnaissance de ce travail par de large portions de l’Eglise, notamment dans l’Enseignement catholique, a été une récompense pour nous, même si bien sûr on aurait pu rêver plus grand encore, mais je ne doute pas que le succès de Brunor est en train de s’installer solidement et que nous y aurons été pour quelque chose. Vu les bons chiffres de vente, je pense que maintenant les grandes maisons vont le regarder autrement.
Ensuite, tout est affaire d’occasions. L’été dernier, quand j’ai rencontré Philippe Arino à l’université d’été d’Alliance-Vita, il m’a confié ses difficultés à sortir un petit essai qu’il avait écrit sur « L’homosexualité en vérité », j’ai tout de suite été agacé par la frilosité de l’édition catholique face à ce travail non seulement original mais répondant totalement — au moment crucial du vote de la loi Taubira — aux attentes de nombreux publics face à l’Eglise dont le langage en la matière a bien du mal à se faire comprendre. J’ai bien vu que Philippe Arino était en butte aux intellectuels homosexuels refusant la « discipline » de l’Eglise et à des chrétiens très gênés par une homosexualité assumée comme culture et manière d’être… Notre liberté et notre réactivité nous a permis de sortir le livre juste avant les grandes manifestations contre le « mariage pour tous ». Cela a été aussi un assez grand succès commercial et mon seul regret est que les mêmes mauvaises raisons qui avaient fait trembler les éditeurs, ont finalement écarté Philippe Arino des podiums de la Manif pour tous où il aurait pu être beaucoup plus utile que certains politiques en mal de reconnaissance.
Et cette histoire de prétendue tête d’Henri IV, retrouvée chez un collectionneur et dont une équipe pluridisciplinaire d’historiens et de scientifiques a validé l’authenticité, pourquoi donc vous êtes vous précipité pour dire le contraire en éditant Philippe Delorme ?
Nous connaissons bien Philippe Delorme puisqu’il a été, autrefois, rédacteur en chef à France Catholique avant de rejoindre l’hebdomadaire Points de Vue – image du Monde où il a lancé le supplément Point de Vue – Histoire. Il m’a confié ces dernières semaines son relatif découragement de ne pouvoir faire paraître rapidement son nouveau livre car plusieurs éditeurs lui avait fait faux-bon. J’ai alors pensé que ses difficultés était un un peu du même ordre que celles que je viens d’évoquer pour Brunor et Ariño. Certains historiens semblaient considérer Philippe Delorme de haut parce qu’il n’est pas assez universitaire et trop journaliste à leurs yeux. J’ai bien repéré que, concernant cette prétendue tête de Henri IV, nous avions affaire à une sorte d’emballement médiatique en faveur d’une thèse qu’il semblait imprudent de vouloir contrer.
Retrouver la tête d’un roi, c’est quelque chose qui résonne dans les tréfonds de l’âme française. Rappelez-vous les très nombreux articles de presse lorsqu’on retrouva, en 1977, dans les fondations d’un hôtel particulier, les têtes de pierre de la galerie des rois de Notre-Dame de Paris ! Il y a dans cette affaire quelque chose du « retour du roi caché » qui est un des mythes les plus universels et qui agite les imaginations depuis des siècles ou plutôt des millénaires. Philippe Delorme n’est pas pour rien celui qui a été à l’origine de la résolution scientifique de l’énigme Louis XVII… En vérité tout le monde avait envie d’y croire à cette histoire rocambolesque de tête de Henri IV, Philippe Delorme le premier.
Mais en ouvrant le dossier, il a trouvé qu’il y avait des choses qui ne collaient pas. Puis il a approfondi. Pendant ce temps la télévision s’était emparé du sujet et il était devenu presqu’impossible de dire le contraire d’une « vérité » qui faisait plaisir et qui était devenue quasiment officielle.
Rétablir la vérité n’est jamais un vain combat. J’ai proposé à Philippe Delorme d’éditer son livre, en prenant soin de lui demander de ne supprimer aucune des notes qu’il avait rédigées pour conforter son analyse. On a donc plus de 100 pages de références… C’est d’ailleurs ce qui m’impressionne le plus chez Philippe : sa capacité à aller chercher, dans les bibliothèques, mais aussi sur Internet, des références dont on aurait jamais imaginé qu’elles puissent exister… Mais, l’essai principal peut se lire sans recourir à elles, et beaucoup de ces notes sont passionnantes en elles-mêmes. La dernière, où l’écrivain Luc de Goustine, un autre ami de grand talent et collaborateur de France Catholique, raconte de manière truculente l’histoire d’une autre tête d’Henri IV à Brives-la-Gaillarde (!) est certes amusante, mais n’est pas loin de donner la clef philosophique d’une telle polémique en apparence dénuée de véritable enjeu.
Au final, Philippe Delorme se révèle ici un merveilleux historien et ce sera évidemment pour nous une gloire d’avoir participé, en tant qu’éditeur, à cet épisode, certes polémique mais ô combien intéressant, de sa carrière. On n’a qu’une vie, la pimenter de quelques épisodes de ce style où le succès, par le discernement et l’amitié, est au rendez-vous, est une grande grâce. Bien sûr, il y a des combats plus importants, mais, à condition de ne pas trop les multiplier pour ne pas accabler notre équipe sous de nouvelles tâches qui nuiraient au reste — et de ne pas connaître d’échecs ! — je pense que ces incursions dans le monde de l’édition ne pourront pas nous être reprochées.
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http://boutique.france-catholique.fr/fr/livres/53-la-mauvaise-tete-de-henri-iv-contre-enquete-sur-une-pretendue-decouverte-9782369180043.html
Philippe Delorme, La mauvaise tête d’Henri IV, Frédéric Aimard éditeur/Yves Briend éditeur, 384 pages, 20 euros.
http://boutique.france-catholique.fr/fr/livres/49-lhomosexualite-en-verite-9782953607888.html
Philippe Ariño, L’homosexualité en vérité, Frédéric Aimard éditeur, 96 pages, 10 euros.
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