Si âpres, d’une certaine façon, que soient les temps actuels, ils n’en sont pas moins passionnants à cause des enjeux qu’ils mettent à jour. Comme en Mai 1968 – cette référence beaucoup plus polysémique qu’on ne le croit d’ordinaire ! – la parole se libère. Elle est au carrefour, dans les couloirs des facs et jusque dans les wagons du RER au retour des manifs. Il s’agit moins d’un monde à réinventer que d’un univers collectif à explorer. Un univers qui rejoint d’ailleurs les intimités personnelles, qui se trouvent reliées par des solidarités profondes et heurtées par des discords qui peuvent être à l’origine de sérieux conflits.
C’est le défi d’un projet de loi qui, prétendant ouvrir généreusement la possibilité de droits civiques nouveaux dans la logique d’une évolution de la société, se trouve confrontée à l’énigme même de l’humanité corporée et sexuée. À ce propos, il faut se méfier des références trop sommaires à la nature. La nature humaine ne saurait être comprise à partir d’un modèle purement biologique. La différence sexuelle n’est pas seulement anatomique. Elle se réfère à la question de la chair, dont l’approche adéquate ne peut être que phénoménologique, au sens d’une attention extrême à ce qu’elle est le plus irréductiblement et à ce qu’elle signifie.
Il n’y aurait pas de côté tragique aux discussions actuelles s’il n’y avait ce mystère de l’altérité, qui trouve sa marque phénoménale dans l’apparence mais s’enracine si intimement dans la psyché. C’est bien pourquoi il importe, à tout prix, de ne blesser personne par des attitudes agressives, qui sont forcément insupportables lorsqu’elles portent atteinte à la part secrète d’une personne, celle qui est liée à son affectivité insondable. C’est une des raisons pour lesquelles il ne faut pas traiter à la légère le procès public pour homophobie, même s’il donne lieu à des caricatures et à des manipulations politiques.
Cela ne veut pas dire qu’il faut délaisser la portée anthropologique du débat actuel. Bien au contraire ! Mais il faut l’aborder avec toute la délicatesse nécessaire, loin des stigmatisations et des rejets haineux. C’est toute la difficulté, considérable, d’un débat public sur une telle problématique. Le mariage homosexuel ne concerne pas une banale ouverture à des droits nouveaux. Il remet en cause la condition humaine, irréductiblement liée à une différence symbolique qui fonde l’existence de toute société humaine.