Le pape François est en fonction depuis un peu plus d’un mois, mais il y a encore pas mal de personnes qui se demandent quel genre de pape il est – et va être. Les gestes de simplicité et d’humilité, ont tous deux d’une manière ou d’une autre, existé au Vatican depuis les réformes de Paul VI. Mais beaucoup de gens se demandent : Que va-t-il vraiment réaliser une fois que la lune de miel sera passée ?
Nous avons peut-être reçu deux signes majeurs à ce sujet cette semaine. Il a confirmé une décision qu’avait prise Benoit XVI de réformer la direction de la Conférence des femmes religieuses (LCWR) – dont nous reparlerons plus loin. Et il a aussi annoncé la formation d’un groupe de conseil de 8 cardinaux, de tous les coins du monde, pour l’aider à mettre au point des réformes plus près de lui : A la Curie .
Quelles réflexions devraient nous inspirer ces deux initiatives, qui se sont succédé très vite ?
Pour les établir dans un contexte plus large, nous pouvons voir une Eglise dont les façons d’agir sont encore plus équilibrées par rapport au Concile Vatican II. Jean Paul II et Benoit XVI bien sûr, pendant plus de 35 ans, ont réparé certains des dommages causés par des gens qui s’étaient enivrés du vin nouveau des suites immédiates du Concile. Tous deux ont réaffirmé l’enseignement constant de l’Eglise. Mais ce n’est pas un secret que les ordres religieux, les universités, les chancelleries, et même certains évêques ont résisté.
Ils s’en plaignent depuis longtemps, les soi-disant catholiques « conservateurs » – une étiquette qui leur a été appliquée de l’extérieur, comme si le fait de suivre un enseignement bimillénaire dans les domaines de la foi et de la morale, n’était qu’une option parmi d’autres pour les catholiques. Mais, comme me le faisait remarquer l’autre jour, un de mes amis, catholique libéral modéré : Même lui, ancien séminariste, était inquiet de voir combien les espoirs suscités par Vatican II étaient vite devenus incontrôlables, sans que, semble-t-il, personne n’y puisse rien.
La vision du Concile était de renouveler l’Eglise, de la rendre plus évangélique. Elle encourageait aussi un mode de prise de décision plus collégial – la collégialité, si on la comprend bien, est le principe de subsidiarité appliqué à l’intérieur même de l’Eglise. Mais s’extraire des formes administratives plus légalistes et impersonnelles d’avant le concile, ne voulait pas dire l’abandon des vérités théologiques et morales évidentes.
C’est précisément dans ce domaine que les récentes initiatives du pape François sont peut-être encourageantes. Pour ce qui est de la LCWR, il a choisi ce que n’importe quel bon pasteur – non, n’importe quel être humain aux idées saines – verrait comme une bonne gouvernance. Aux Etats Unis, le courant principal de la presse a immédiatement tourné le conflit de l’année dernière en une controverse politique, opposant des femmes indépendantes à une hiérarchie masculine, et l’option qui privilégiait le travail social, à une religion d’une orthodoxie prétendument abstraite.
Mais c’était d’une ineptie flagrante ! LCWR pratique depuis des décennies quelque chose qui s’apparente à la vénération d’une déesse. J’en veux pour preuve leur dernière conférence nationale. (Je ne plaisante pas à ce propos – passez quelques instants sur leur programme en ligne.) Si la direction d’un organisme religieux ne peut pas demander à ses membres de pratiquer la religion qu’ils professent, pourquoi avoir différents groupes de croyants ? Cela revient à déclarer – ce que de nombreux media ont fait – que le travail social ou la vache sacrée de la « justice sociale » est la vraie religion, et tout le reste est discutable sinon pure non-sens, et un simple prétexte à jeux de pouvoir.
Voilà pourquoi la deuxième initiative du pape François est significative. Certains commentateurs pensent que le fait de choisir 8 cardinaux pour le conseiller dans la réforme du fonctionnement interne du Vatican est un exemple de « collégialité conciliaire ». A mon avis, ce n’est pas complètement évident, mais c’est une approche bien meilleure que le grand nettoyage des 100 premiers jours que certains prônaient au début – plus lent, mais plus sûr et susceptible d’obtenir un meilleur consensus.
Paul VI aussi avait constitué une commission pour le conseiller, avant d’écrire en 1968 son encyclique Humanae Vitae – et ensuite, il avait ignoré son avis sur la contraception, comme il le devait. Dans n’importe quelle organisation, c’est utile de faire de larges consultations. Mais les décisions de groupe peuvent être sans consistance, ou aussi mal avisées qu’une loi autocratique. En dernier ressort, la décision appartient au chef- surtout en ce qui concerne les vérités essentielles, qui n’émergent pas automatiquement d’une délibération de groupe. Mais c’est toujours mieux d’écouter les autres d’abord.
Les réclamations habituelles comme quoi le pouvoir du pape était trop centralisé, ont en effet une cause difficile à défendre. A part les deux déclarations doctrinales – à propos de la Vierge Marie – depuis 150 ans, aucun pape n’a défini de nouvel article de foi. Ce sont ceux qui veulent changer le catholicisme qui cherchent le pouvoir. Les catholiques orthodoxes, leurs chefs compris, font passer ce qu’ils ont reçu, et ne s’arrogent pas le pouvoir et les décisions.
La commission du pape François, cependant, introduit un certain degré de ce qu’on appelle collégialité là où il le faut – au niveau administratif de déterminer « comment » être une institution qui transmet la bonne nouvelle au monde entier. Le contenu de la Bonne Nouvelle – tel que les catholiques le comprennent – a été établi depuis longtemps par un système électoral bien plus démocratique que celui de la période d’expérimentations de de désordres qui a suivi le Concile : Des siècles de votes de cultures, civilisations, et continents différents dont l’expérience vécue de l’Evangile a été passé au crible, testé, et trouvé bon.
Le groupe de conseil mondial va ajouter sa touche à cette riche expérience de continuité à ce qui vient du passé. A mon avis, l’Eglise en tant qu’entité administrative travaille encore à son incarnation moderne. Au 19° siècle, la perte des états pontificaux a été un bienfait. Cela a libéré l’Eglise pour lui permettre d’être l’Eglise plutôt qu’une entité politique. De même, au XX° siècle, éliminer certains des privilèges monarchiques de la papauté, ce qui a commencé sous Paul VI, est d’un grand bénéfice. Les derniers papes ont pu parler au monde de façon plus personnelle et plus directe, en un âge où c’est une nécessité urgente.
Le défi pour le pape François sera double. Il a déjà rendu le rôle du Serviteur des Serviteurs de Dieu plus visible pour un monde qui ne comprend pas l’humilité chrétienne. Mais en même temps que cet humble service, doit s’exercer une solide gouvernance pastorale. Peut-être a-t-il raison de rester en dehors du palais apostolique et de gérer les choses d’ailleurs. L’avenir le dira. Mais il doit gérer les choses, et pas seulement se mesurer à une entreprise capricieuse comme le LCWR, mais être un vrai serviteur du peuple de Dieu.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-popes-twin-challenges.html
Tableau : Les marchands chassés du Temple, James Tissot, c. 1890.
Robert Royal est éditeur en chef de « The Catholic Thing », et président de l’institut « Foi et Raison » à Washington D.C.