Née dans une famille d’organistes — elle disait en riant qu’elle était née dans un tuyau d’orgue —, elle a rejoint les claviers de l’église de Saint-Germain en Laye dès l’âge de 11 ans. Elle en devint d’ailleurs titulaire, à la mort de son père, en 1970. Car Marie-Claire Alain aimait retrouver cette simplicité du travail d’organiste titulaire et liturgique, celui qui s’exerce hebdomadairement à l’accompagnement du culte. Cette immense concertiste, qui a donné plus de 2 500 concerts à travers le monde, avait cette humilité de grande musicienne et de grande chrétienne. Elle ne négligeait jamais les petites choses, les petits moments, en dehors des feux de la rampe.
L’organiste de Saint-Jean de Montmartre, Jean Vadon, disait d’elle qu’elle était une « fugue en plain-chant ». Elle avait le talent de la fugue, sa complexité harmonique, sa construction géniale, sa science extrême, son admirable équilibre. Elle était aussi habitée de la simplicité du plain-chant, de son extrême douceur, mais aussi de sa force de persuasion. Tout cela transparaissait dans son jeu, par exemple dans les toccatas et fugues de Bach. D’ailleurs, elle restera indissociable de ce musicien. « À tort, beaucoup conçoivent l’œuvre de Bach comme une musique rigide et mathématique, déplorait-elle. Or, il est vital de ne pas se laisser prendre à la dialectique et contrer l’émotion. » Combien de futurs organistes n’a-t-elle pas influencés ? Combien de futurs organistes n’a-t-elle pas persuadé, à travers son talent, de la suivre derrière des claviers ? Indirectement ou directement ?
Car Marie-Claire Alain mettait un point d’honneur à transmettre son art, à travers les cours, les master-classes ou les conférences. Elle était une pédagogue très recherchée. « C’est l’orgue qui demande du travail, ce n’est pas Bach ! », insistait-elle auprès de ses élèves. Elle a fondé son enseignement sur des études musicologiques qu’elle n’a cessé d’approfondir dans tous les domaines de la littérature organistique, musique ancienne, romantique, symphonique, etc. Et par-dessus tout à travers la recherche et l’interprétation du répertoire composé par son frère Jehan Alain, génial compositeur et organiste, mort trop tôt et qu’elle n’a eu de cesse de faire connaître. Marie-Claire a rejoint celui qu’elle aimait par-delà la mort, et qu’elle faisait vivre dans ses nombreux concerts. Chacune de ses fins de concert était d’ailleurs dédiée, en premier bis, aux fameuses Litanies. Le public les attendait… C’était d’ailleurs rarement le seul bis puisque, généreuse aussi avec ce public, elle aimait conclure avec un grand prélude et une fugue de Bach.
Défenseur de la restauration et de la construction de nouveaux instruments, elle a fait partie de nombreuses commissions d’orgues ou dirigé des réfections, comme à Bourges, cherchant à provoquer la prise de conscience, tant du grand public que des structures de l’État, de l’utilité patrimoniale et culturelle d’instruments dignes d’intérêt.
Sa discographie est impressionnante. Alain Cartayrade en a dressé la liste exhaustive. Elle a vendu plus de quatre millions de disques, a reçu deux disques d’or, un laser d’or. Si on n’en gardait que quelques-uns, on citerait les intégrales de Bach — au nombre de trois tout de même —, de Buxtehude, de Bruhns, de Böhm, de Couperin — trois versions également —, de Grigny, Daquin, Pachelbel, Mendelssohn, Franck — deux versions —, Jehan Alain bien sûr — trois versions —, et les concertos de Poulenc, Chaynes, Haendel, ceux de Bach, Mozart, Haydn, Vivaldi. Son travail avec des grands noms des années 1970 a permis à l’orgue de sortir de l’ombre : collaborations avec Maurice André — qui ne se souvient du Jésus que ma Joie demeure, avec l’orchestre de chambre de Jean-François Paillard ? — qui lui ont valu de nombreux grands prix du disque et autres diapasons d’or. Sans compter toutes les distinctions reçues à travers le monde pour sa discographie et son travail d’interprète. Elle était Docteur honoris causa de grandes universités et d’académies royales : Colorado, Dallas, Helsinki, Boston, Montréal, Baltimore, Londres, Japon… Aux États-Unis, on la surnomme, dès les années cinquante, « The Lady of the Organ ». Elle y est finalement plus connue qu’en France.
Lorsqu’on déroule sa biographie, on est évidemment stupéfait du travail accompli par ce petit bout de bonne femme… Surtout dans un univers qui reste malgré tout très masculin, elle a su insuffler à la musique de la « merveilleuse machine » un renouveau, une modernité, laissant admirer sa maîtrise des claviers, des pédaliers et des différents jeux, avec une musicalité hors pair. À la suite d’un récital en Allemagne, la critique la qualifiait de « Magierin der Klänge » (magicienne des sons). Et à Londres : « Quand Marie-Claire Alain joue, vous ne remarquez plus l’orgue ou l’interprète, vous écoutez simplement la musique… Musique jouée par une des légendes organistiques de notre temps. »
Marie-Claire est désormais aux côtés de son maître musical, Jean-Sébastien Bach et de son frère chéri. Nul doute qu’elle embrase les voûtes célestes de la musique du Cantor de Leipzig et qu’elle continue à jouer les Litanies avec toute la fougue qu’on lui connaissait. Merci Marie-Claire ! Et à Dieu.