On s’étonne, on s’indigne, parfois on insulte même. Qu’est-ce que c’est que ce pays ? Qui n’accepte pas d’une seule voix le « mariage pour tous », et qui se permet d’argumenter, de protester, de manifester ? Pour une grande partie des journalistes, et notamment des journalistes européens qui s’expriment sur nos chaînes d’infos, c’est un scandale, un sujet infini d’étonnement. Voyez ce qui s’est passé ailleurs, notamment en Belgique où il n’y a même pas eu le commencement d’un débat. Ne parlons pas du Canada ! J’entendais hier un confrère s’étrangler de fureur devant la caméra, d’ailleurs soutenu par tous les autres participants à cette émission de pseudo discussion.
Oui, il y a de ce point de vue une différence française, et j’en suis fier. Je suis fier qu’il y ait ici des hommes et des femmes debout, des jeunes gens qui se dressent pour dire qu’ils ne sont pas d’accord et qu’ils ne cèderont pas à l’intimidation du politiquement correct et à la dictature des médias. Il faudrait tout de même savoir si on prend ou non la démocratie au sérieux. Est-il concevable qu’une réforme aussi importante que celle du mariage ne fasse pas l’objet d’une discussion approfondie, à laquelle sont associés tous les citoyens du pays ? Si ce n’est pas le cas, alors rangeons au placard tous les principes de philosophie politique qui semblaient pourtant fonder nos régimes, notamment depuis la guerre. Tout ce que nous a appris un penseur comme Jürgen Habermas sur les procédures de la décision, qui sont celles d’une discussion publique ordonnée, pour permettre aux arguments d’être compris et confrontés, serait donc vain ?
C’est vrai que ce qui se passe dans notre pays a le grand mérite de mobiliser les consciences, en soulevant des questions premières sur l’organisation de la vie sociale et les institutions qui structurent les cellules nourricières de l’existence. Mais tout se passe, en même temps, comme si tout devait céder devant les exigences d’un ultra-individualisme qui serait l’unique loi des lois. Du même coup, on s’aperçoit que cet ultra-individualisme se confronte avec toute la tradition, notamment occidentale qui n’est pas seulement chrétienne, mais qui trouve aussi parmi ses figures tutélaires Antigone, témoin irrécusable des lois non-écrites, des lois divino-humaines. Alors oui, il est inévitable que le conflit éclate et il est à l’honneur de la France d’être à la hauteur de pareils enjeux.
