C’est sans doute politiquement incorrect de le dire de nos jours, mais en vérité la République américaine eut de véritables « Pères Fondateurs » à la fin du dix-huitième siècle. Les plus éminents « Fondateurs » (et les « Recadreurs », comme on appelait les rédacteurs de la seconde Constitution en 1787) portent des noms familiers : Benjamin Franklin, George Washington, John Adams, Thomas Jefferson, James Madison, Alexander Hamilton.
On trouve dans le groupe, moins connus, John Jay, Charles Carroll of Carrollton (le seul catholique parmi les signataires de la déclaration d’indépendance), George Mason, Luther Martin [!] (participant à la Convention constituante de 1787, opposé à la ratification à cause de la reconnaissance légale de la traite des esclaves pour encore au moins vingt ans), James Wilson, et Benjamin Rush, et encore bien d’autres.
Les plus célèbres forgèrent leur réputation par leurs contributions et leur volonté de traiter les différentes questions avec une grande élévation en dépit de leurs profondes différences d’opinions. Alors, QUID de la religion, de la tolérance religieuse, et de la liberté de religion ?
Il faut noter qu’il n’y a nulle question de religion quant à la citoyenneté ou à l’accès à une fonction publique, ni dans les « Articles de Confédération » (1781 – 1788) ni dans la Constitution (ratifiée en 1788). De plus, le Premier Amendement (1791) interdit au Congrès de légiférer « sur l’instauration d’une religion ou l’interdiction de sa libre pratique ». Les États n’étaient pas contraints à ce point.
Dès 1776, et au fur et à mesure des diverses révisions au cours du dix-neuvième siècle, les constitutions des États instituèrent fréquemment des règles en faveur du Protestantisme, allant jusqu’à l’incapacité politique pour des non-Protestants, spécialement les Catholiques. La tolérance était bien annoncée, mais sans véritable liberté de religion.
Ces restrictions ne passèrent pas inaperçues. Par une lettre de 1789 félicitant le Président nouvellement élu, un groupe de notables Catholiques, dont le Père John Carroll (qui serait le premier Évêque Catholique des USA) rappelait à Washington la part prise par les Catholiques dans la récente guerre d’Indépendance. « Ils pouvaient à bon droit revendiquer [des États-Unis] la justice [et] les mêmes droits de citoyens ». Les auteurs continueraient à « prier pour le maintien de ….. [l’égalité des droits] là où ils ont été reconnus, et pour leur extension en justice dans les États où ils sont encore restreints. »
La réponse de Washington sous-entendait son attachement à la souveraineté des États et à une perspective de tolérance plutôt que d’entière liberté religieuse pour tous : « les humains devenant plus soucieux de libéralisme sauront se comporter en membres méritants de la communauté et obtiendront ainsi la protection des gouvernements ».
Le libéralisme de Washington sur une future liberté religieuse était partagé par bien des « Pères Fondateurs », mais pas sans un peu de gêne vis-à-vis des Catholiques. La nouvelle République, comme le montraient beaucoup de constitutions d’États, était essentiellement sur le plan local une communauté Protestante, formant peut-être même une « nation Chrétienne ».
Certains « Pères Fondateurs », parfois portés à un certain Déisme, ou franchement Déistes, n’étaient pas nécessairement convaincus par la théologie protestante, mais étaient plus à l’aise avec des collègues Protestants, orientés vers une religion plus rationaliste, comme l’Unitarianisme [NDT: religion d’un Dieu unique, rejetant l’idée de Trinité et laissant la plus large autonomie de croyance, ouverte à une grande tolérance.], porté à l’action plutôt qu’à la doctrine — doctrine souvent contestée.
Pour Benjamin Franklin le rôle essentiel de la religion était d’insister sur le Deuxième Commandement: « le service le plus agréable à Dieu est de faire le bien à l’Homme. » Trop fréquemment le Premier Commandement était pour lui source de questions épineuses, et même de guerres de religion, dès qu’on abordait les questions d’orthodoxie.
Quant à la révélation, Franklin soutenait qu’un acte n’est pas bon ou mauvais selon la loi divine, mais « bon ou mauvais en soi, selon les circonstances et la situation. » En résumé, la seule raison selon la nature humaine était bien suffisante pour découvrir les vérités nécessaires à l’exercice du gouvernement.
De ce point de vue, l’Église catholique, avec son Credo et sa vocation de médiation entre Dieu et les hommes, avait institué un « corps de curés » avec les abus du clergé associé à l’Ancien Régime européen, système anti-libéral, hostile à la liberté, à la République et, pour tout dire, anti-social.
Évidemment, tous les Américains n’approuvaient pas Franklin, mais une tournure d’anti-catholicisme dans l’arrière-pensée traditionnelle anglo-américaine poussait à une tolérance raisonnable plutôt qu’à une entière liberté accordée aux Catholiques, qui auraient pu être tentés de défier le nouveau régime ou même de l’évangéliser.
Franklin, et l’anti-catholique convaincu John Adams ne parlaient certes pas au nom de tous les Américains, ni même de tous les « Pères Fondateurs », mais leurs vues sur la liberté religieuse n’étaient pas tout-à-fait vouées à un exercice de la religion en toute liberté, au-delà des barrières fédérales érigées contre une telle liberté.
Finalement, en 1833, tous les États avaient renoncé à une forme de religion constitutionnelle. Mais l’histoire de la Nation serait encore marquée par des rapports difficiles avec le Catholicisme, allant même jusqu’à des violences.
Il n’était pas facile de combler ce fossé. En 1960, John F. Kennedy a heurté certains observateurs Protestants en célébrant de façon grandiose le « mur de Jefferson » [NDT: surnom donné au texte élaboré par Jefferson pour établir la séparation de l’Église et de l’État.], insistant personnellement sur la séparation de l’Église et de l’État. La règle de conduite de Kennedy [NDT: pour la première fois dans leur histoire, les États-Unis avaient avec Kennedy un Président catholique.] était si vigoureusement laïque qu’il semblait dénier à la religion toute légitimité sur la place publique.
Ce fut un succès politique, mais les « Pères Fondateurs » auraient sans doute été interloqués à la vue de cette place déserte d’où certaines croyances personnelles, en particulier croyances fondées sur la religion, semblaient avoir été bannies.
La liberté de religion, droit constitutionnel tant au niveau fédéral qu’au niveau des États, est soumise à de nouvelles attaques. Avec un laïcisme poussé dans l’absolu nous dérivons à nouveau vers une « tolérance religieuse » destinée à étouffer toutes les voix soupçonnées de sectarisme.
La religion, affaire personnelle et privée doit rester … personnelle et privée.
Mais on se porterait mieux avec la liberté de religion vue par nos « Pères Fondateurs », renouvelant nos engagements pour une liberté bien réglée et un dialogue de bonne compagnie portant aussi sur les « valeurs » religieuses et — osons l’expression — sur les vérités de religion.
Thomas W Jodziewicz est un nouveau collaborateur de « The Catholic Thing ». Professeur d’Histoire à l’Université de Dallas (Texas), il a présidé la Société Historique du Texas.
Tableau : Monseigneur John Carroll – Gilbert Stuart (vers 1806).
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-founders-vision-of-religious-liberty.html
Pour aller plus loin :
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- Woodrow Wilson
- Objections de conscience et liberté religieuse
- A propos de satanisme et de liberté religieuse
- Manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des médias et la liberté d'expression