« Tu parleras ainsi aux Israélites — dit Dieu à Moïse : le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob m’a envoyé vers vous. » (Ex, 3 : 15).
Je reviendrai sur cette question d’identification et ce qu’elle a à voir avec le nom qui n’est pas un nom, que Dieu vient de révéler : « je suis celui qui est » (Ex, 3 : 14). Mais pour l’instant je voudrais l’arrêter sur le personnage médian — souvent négligé — de ce trio de patriarches, Isaac.
Isaac ne s’embarque pas pour un long voyage en terre inconnue comme le fit son père Abraham. Il ne reçoit pas la visite d’anges du Seigneur, comme Abraham et, plus tard, son fils Jacob. Il ne repose pas dans les champs de Luz [Bethel] pour y recevoir un songe mystique. Il n’est pas un guerrier, un rusé. Il n’y a pas la plus petite trace de ressemblance entre Isaac et Romulus, Thésée ou Minos et autres fondateurs mythiques de nations autour de la Méditerranée.
Selon toutes les apparences Isaac est un être insignifiant. Oserons-nous lui donner le titre de saint patron des gens quelconques ? À mon avis, oui, si nous gardons à l’esprit les mots de Chesterton pour qui les gens ne sont pas simplement quelconques : les païens passés et présents ne peuvent le comprendre, eux qui se prosternent devant l’autel du pouvoir terrestre, quelle qu’en soit la forme — richesse, intelligence, célébrité, position sociale, influence.
L’Écriture nous montre trois évènements marquants de la vie d’Isaac : le matin terrible sur le Mont Moriyya, son mariage avec Rébecca, et la bénédiction donnée à Jacob. Isaac ne contrôle la situation dans aucun de ces évènements. Il se soumet à son père sur la montagne ; il tombe amoureux de la femme que la servante d’Abraham avait amenée pour lui de Haran ; et il ne maudit pas Jacob après avoir appris que son fils et Rébecca l’ont trompé.
Kierkegaard a bien tenté de sonder le cœur d’Abraham montant sur le montagne. Et du fils, alors ? Les mots affectueux “Mon père“ — abi en Hébreu — ont bien dû tenter Abraham plus que tout autre argument pour l’inciter à laisser tomber et à redescendre de la montagne, pris par le désespoir, le profond désespoir. Qu’a donc pu ressentir Isaac lorsque Abraham dégaina son couteau ?
Isaac éprouva-t-il de la haine envers son père après cela ? Évidemment non. Abraham nomma le lieu du sacrifice du bêlier pris dans le buisson “Yahweh-yireh – Dieu pourvoit“, les mots mêmes employés quand Isaac lui demanda « où est l’agneau pour l’holocauste ? » Par la suite la vie d’Isaac témoignera toujours : “Dieu pourvoit“.
Isaac ne se cherche pas une épouse, il accepte le choix de son père. Quand on lui amène Rébecca, il la prend pour épouse, et l’aime — une anecdote plaisante : Abimelech, roi des Philistins, regarde par la fenêtre et assiste aux ébats d’Isaac avec sa femme Rébecca. Isaac est à la fois éleveur et cultivateur, davantage sédentarisé que son père ou ses fils. Quand les Philistins comblent les puits de son père Abraham, Isaac ne se bat pas, il les creuse à nouveau. Lorsque d’autres pâtres lui contestent l’accès au puits, Isaac va à un autre puits et le remet en état. C’est un homme épris de paix.
Pourquoi Isaac préférait-il un fils à l’autre, Ésaü à Jacob ? L’astucieux Jacob déroutait sans doute l’homme simple, ou, peut-être, l’agressivité d’Ésaü, qui lui manquait, fascinait-elle Isaac. Mais tout ne lui plaisait pas en Ésaü. Il fut fâché, et Rébecca également, quand Ésaü épousa deux femmes Hittites.
Mais quand Isaac, vieillard aveugle, s’étendit sur sa couche, prêt à donner sa bénédiction, il demanda à Ésaü le chasseur d’attraper du gibier pour lui et de l’accommoder selon sa recette préférée — encore une marque de l’habituelle simplicité d’Isaac appréciant la viande assaisonnée au cumin ou aux poivrons. Pas de voyage de Haran à Canaan, pas de construction d’arche, juste un bon petit repas. On connaît la suite. Rébecca cuit un chevreau bien épicé, puis enduit d’épices les bras de Jacob et les couvre de poils comme ceux d’Ésaü, induisant la confusion entre le cadet et l’ainé.
Un mot de plus sur cette tromperie — l’auteur sacré s’interdit d’approuver, comme nous le verrons. Mais Jacob est l’élu du Seigneur, qui voit ce qu’Isaac ne peut voir. De retour de la chasse, Ésaü — il s’est bien plus que Jacob dépensé pour le vieillard — requiert la bénédiction, Isaac comprend que le Seigneur a la maîtrise des évènements, tout comme sur le mont Moriyya, « il recevra ma bénédiction », dit-il.
Ésaü pleure amèrement. « donne-moi aussi ta bénédiction, Père ! » Abi — le même mot que nous avons entendu dans la bouche du petit Isaac. « Ne peux-tu donner qu’une bénédiction, abi – Père ? Bénis-moi aussi, abi – Père. »
Isaac fait ce qu’il peut. Il dit à son fiston qu’il aura les meilleures terres couvertes de la rosée du ciel, et qu’il aura une existence de guerrier. Mais il ssera soumis à son frère Jacob, et sa descendance brisera le joug de Jacob. Ce qui n’empêche pas Ésaü de haïr son frère et de se préparer à assassiner son frère après la mort d’Isaac.
Alors, que signifie l’expression “adorer le Dieu d’Isaac ?“ C’est suivre la voie de Dieu sur la vie de tous les jours. Suivre Ses Commandements, suivre les pas de ses parents, non pas à l’aveuglette mais en toute confiance. Isaac, qui doit son nom au rire joyeux de sa mère et de son père quand ils apprennent du Seigneur qu’ils auront un fils dans leur vieillesse, ne semble pas avoir été un homme prêtant à rire. Ni à controverse.
Que Dieu nous propose Isaac comme un modèle à suivre nous dit bien comment la sainteté, cette vertu extraordinaire, peut se découvrir.
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Isaac bénit Jacob – Govert Flinck, 1638
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-key-that-fits-the-lock-part-14.html