Le cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée, qui scella la réconciliation franco-allemande, donne lieu à diverses commémorations, dont on ne saurait sous-estimer l’importance, malgré les réserves que suscite l’état des relations entre les deux pays. Une amitié en panne titrait hier Le Figaro, tandis que Le Monde énonçait : Cinquante ans après, France-Allemagne unies malgré tout. On pourrait être plus enthousiaste, mais la rigueur des temps oblige à la réserve. Bien sûr, personne ne doute de la réalité du rapprochement que le général de Gaulle et le chancelier Adenauer voulurent célébrer avec force. Mais il n’est pas possible de nier les différences qui affectent nos appréciations sur la politique économique à l’heure de la crise et sur la situation de l’Europe dans un monde bouleversé.
Il n’empêche qu’un regard sur le passé n’est pas superflu. C’est vrai que l’accélération de l’histoire rend souvent malaisée la prise de conscience de ce qui s’est produit depuis la Seconde Guerre mondiale. De Gaulle et Adenauer voulaient venir à bout des séquelles d’une hostilité multi-séculaire, au prix parfois de concessions que leurs successeurs auraient eu beaucoup de mal à négocier. Jean Foyer, qui fut garde des Sceaux du général, m’avait raconté comment le chancelier allemand avait exigé la libération des responsables de la Gestapo en France, qu’aujourd’hui on inculperait sous le chef de crimes contre l’humanité. De Gaulle céda alors, parce qu’il n’y avait pas de sacrifice trop démesuré pour changer radicalement le destin commun de nos deux peuples.
Tout cela serait bien oublié lorsqu’il s’agirait de la réunification des deux Allemagnes, en dépit des craintes d’un Mitterrand encore tributaire du passé qu’il avait vécu. Aujourd’hui, nous sommes devant une toute autre configuration, où l’on perçoit les faiblesses de la construction européenne. L’Allemagne et la France demeurent bien les garantes du projet commun. Mais c’est la nature même du projet qui est en cause. De ce point de vue, Adenauer et de Gaulle étaient sans doute plus proches culturellement l’un de l’autre que nos responsables d’aujourd’hui. Je ne sais si Louis-Ferdinand Céline avait raison de prétendre que l’histoire ne repassait jamais les plats. Mais, pour reprendre une autre métaphore, je suis sûr que ses cartes sont sans cesse rebattues.