C’est cette stupide culture - France Catholique
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C’est cette stupide culture

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De nos jours, tout le monde se plaint de la culture. Depuis les libéraux qui pensent qu’elle promeut la violence armée et les « crimes de haine », jusqu’aux conservateurs qui pensent qu’elle nous entraine en enfer à grande vitesse sur un luxueux paquebot. Et en rivalité peut-être avec cet accord entre ces idéologies, nous sommes totalement perplexes sur ce qu’il faut faire pour sortir de cette triste pagaille.

J’ai lu un fascinant petit livre, « La civilisation du spectacle », de Mario Vargas Llosa, le romancier qui s’était présenté autrefois aux élections présidentielles du Pérou. Je l’ai toujours aimé parce que ses livres associent des dons littéraires rares, et un ferme rejet de la sorte de stupidités que les radicaux en Amérique Latine et ailleurs colportent depuis des dizaines d’années. (lisez « La guerre à la fin du monde »)

Il est tellement bon qu’il a reçu le prix Nobel de littérature en 2010, alors même que le comité de sélection admire –et parfois même honore – ces mêmes radicaux, et habituellement passe sous silence les critiques si justes soient-elles, qui les concernent.

Son œuvre la plus récente (malheureusement jusqu’à présent accessible seulement en espagnol), s’ouvre par une thèse audacieuse :


Il est probable qu’on n’a jamais écrit dans l’histoire autant de traités, d’essais, de théories et d’analyses sur la culture, qu’à notre époque. Ce fait est d’autant plus surprenant que la culture au sens traditionnel de ce terme, est de nos jours sur le point de disparaître. Et peut-être a-t-elle déjà disparu, discrètement vidée de son contenu, et remplacée par une autre qui dénature celle qui a un jour existé.

Il ajoute :

c’est plus que le fait, universellement admis, que la culture est décadente. La nature propre de la « culture » a changé au point que peut-être aujourd’hui nous n’avons pas de culture digne de ce nom.

Il y a 60 ans, T.S. Eliot a écrit un essai célèbre « Notes en vue d’une définition de la culture ». Eliot déclarait qu’une culture saine s’articule en 3 parties : Un petit nombre de gens au sommet de la culture, un nombre significatif au milieu, et un grand nombre de gens ordinaires. Et à l’époque, il était clair que la culture ne coïncidait pas avec les classes sociales (comme l’a observé Chesterton parmi les riches, beaucoup sont nés fatigués !)
Les trois parties communiquaient – ce dont certains d’entre nous peuvent encore se souvenir- dans tous les domaines, de la musique à la religion. La famille et l’Eglise étaient et doivent être toujours les courroies de transmission de la culture – et non pas les universités (sans parler de l’art actuel de la scène, du théâtre, etc.), dit Vargas Llosa, car la connaissance n’est pas la culture.

La connaissance est utile, mais ce à quoi il sert dépend de la religion et de la culture. De plus, les universités ont cessé d’enseigner ce qui concerne la religion.

Ce qui, bon an mal an, en histoire, philosophie, architecture, art, littérature, est indispensable pour empêcher la culture de dégénérer à sa vitesse actuelle et pour s’assurer que le monde du futur ne sera pas divisé entre les illettrés fonctionnels et les spécialistes ignorants ou sans cœur.
Sans connaissance religieuse, les nouvelles générations seront  « pieds et poings liés à la civilisation du spectacle, c’est-à-dire à la frivolité, la superficialité l’ignorance, les ragots et le mauvais goût. »

Des théories récentes ont utilisé le marxisme, la sociologie, la théorie politique dans leurs efforts pour comprendre la culture. Mais tout cela a été éclipsé par ce qui est maintenant le standard global de la culture, qui ne nécessite aucune culture personnelle, ne demande rien de spécial à personne, nulle part. Ses principaux véhicules sont la musique pop et les films – renforcés et étendus par Internet et les réseaux sociaux.

Vargas Llosa note que tout le monde n’est pas responsable de cette situation de la même façon, contrairement à ce qui est souvent avancé. Bien au contraire. Sans bases culturelles indépendantes, il est très difficile pour quiconque – que sa culture soit Hollywood ou Bollywood – de garder une vraie liberté.

La civilisation mondiale du spectacle promet des distractions sans fin. La définition même de ce qui est important culturellement est ce qui est commercialement réussi car cela « divertit » suffisamment de personnes autour du monde.

Il est aussi caractéristique que les objets culturels sont consommés avec plaisir. Aussi, un film suit l’autre, un concert de rock ou un album remplace le précédent, et peut-être bientôt un texte numérisé pourra en remplacer un autre. Il y a très peu de choses destinées à survivre au plaisir qui passe.

Alors qu’il vivait à Londres dans les années 1960, Vargas LLosa a remarqué que la contreculture transformait même partiellement la religion en quelque chose de superficiel – elle pratique l’indulgence envers la promiscuité et les drogues, et laisse tomber.

Mais la vraie religion a survécu : En mal dans Al Quaida, et les fondamentalismes variés, mais aussi dans des domaines éminemment humains. En dépit des attaques intellectuelles des Dawkins et des Hitchens, dit-il, toutes les cultures humaines ont attaché une grande valeur à la transcendance, chacune à sa manière et pas uniquement par ignorance. Les nouveaux athées ne font que répéter la vieille théorie que la sécularisation suit immédiatement l’éducation, ce qui ne s’est absolument pas révélé le cas.
Chaque civilisation a adhéré à quelque chose qui lui était supérieur, en partie comme rempart contre la souffrance du temps présent, et comme espoir en une justice ultérieure. Mais Vargas Llosa note qu’il s’agit d’une intuition humaine obscure,-mais saine – que sans transcendance –sans quelque chose qui nous enveloppe et nous donne des étoiles pour nous guider et sur lesquelles on peut compter –le pire de l’humain suivra inévitablement. Ce quelque chose, pour la plupart des gens, est la religion. Nous sommes déjà assez mauvais, même avec la transcendance.
Espérons que ce petit livre sera bientôt édité en anglais, car il est temps de comprendre pourquoi de nombreux non croyants distingués – Jürgen Habermas en Allemagne, Marcello Pera en Italie (tous deux ont écrit des livres avec le pape actuel), et maintenant Vargas Llosa – soutiennent qu’on ne peut pas prétendre à une haute culture démocratique et peut-être même une économie morale et une démocratie stable, sans religion.

En route, il fait des erreurs importantes à propos de la compatibilité entre la foi et la liberté. Mais sa compréhension de la culture en termes si lucides et profonds représente un grand pas en avant. D’autres ont suggéré qu’on aura besoin de « minorités créatives » (Benoit XVI) et de communautés de pensée (Alasdair MacIntyre) pour échapper à notre actuel bourbier.
Ce n’est pas une petite chose de la part d’un romancier qui a reçu le prix Nobel, de réaliser que la culture est passée – et doit passer – par la famille et l’Eglise, plutôt que par ce que nous estimons être les  « institutions culturelles » habituelles. (Le déclin de la famille et de l’Eglise est un sujet pour un autre jour). Peut-être cela veut-il dire que, même dans un environnement séculier, tout n’est peut-être pas encore perdu pour nous.


Robert Royal est éditeur en chef de « The catholic thing » (La chose catholique) et président de l’institut Foi et Raison à Washington