En décembre dernier, une amie m’a appelée, elle avait proposé ma candidature pour être parmi les « malades bien-aimés » participant au pélerinage annuel à Lourdes patronné par l’Ordre de Malte. Je me suis sentie ce qu’ils appellent eucharisteo1, dans la plus profonde forme de gratitude.
Mon amie ne m’a promis aucune garantie d’acceptation. Il y avait des conditions : je devais être suffisamment malade pour me qualifier, suffisamment lucide pour ne pas entretenir des espérances déraisonnables et en suffisamment bonne santé pour supporter un vol charter de sept heures vers la France. J’avais besoin de l’autorisation de mon médecin, de programmer un entretien avec une infirmière de l’Ordre de Malte, une hospitalière (une combinaison de guide et d’accompagnant pour le corps et pour l’esprit) et un autre avec un médecin, tout cela arbitrant mon admission.
Il semblait improbable que je sois recalée pour trop bon état de santé. Durant les six mois précédents, j’avais souffert d’une récidive d’un cancer du sein, reçu deux diagnostics successifs de différents types de cancer du colon et, plus tard, une suspicion de tumeur maligne du col de l’utérus.
Dans mon expérience professionnelle comme productrice, « stade 3 » désigne un lieu de répétition pour une représentation théâtrale ou un plateau de tournage pour émission télévisée ou un film. Mais au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center de New-York, stade trois signifie un diagnostic défavorable, même si pas obligatoirement une condamnation à mort.
Il y a une tension entre l’espoir et la crainte dans la vie intérieure d’un catholique fervent – comme de tout un chacun – qui reçoit des rapports médicaux de cette sorte. Le patient a besoin d’un plan d’action, d’une équipe de praticiens, et par dessus tout de la vérité, car un faux espoir peut être plus néfaste pour l’âme souffrante que ne l’est la chimiothérapie pour le bien-être d’un corps accablé.
Je peux témoigner que les prières, dans ces moments-là, peuvent sembler inexaucées. Mais je peux aussi certifier que malgré l’anxiété et le chagrin qui accompagnent de telles nouvelles, en peu de temps, paradoxalement, des bénédictions inattendues affluent. Un pélerinage à Lourdes, par exemple.
Scolarisée chez les Filles de la Charité, j’ai été enseignée à offrir chaque jour prières, travail, joies et souffrances en réparation de mes péchés et aussi aux intentions de mes proches. Durant chaque jour de l’année écoulée, mon corps est devenu une sorte d’offrande brûlante, tandis qu’il était charcuté, empoisonné, irradié, dans l’espoir de restaurer ma santé.
Des remèdes plus doux ont aussi été essayés. Mais les armes les plus mystérieuses de l’arsenal thérapeutique ont été les prières dites, les cierges allumés, les gentillesses prodiguées par la famille, les amis, et même des étrangers.
Et maintenant Lourdes. Je voulais envisager ce pélerinage pas uniquement sous l’angle voyage spirituel, mais aussi comme un soin palliatif. Ma préoccupation première était cependant les préparatifs matériels et spirituels du pélerinage. Mais je suis une bonne organisatrice. Donc j’ai demandé à mes guerriers de la prière de prier pour moi, mis le turbo pour les dévotions journalières, acheté un guide sur Lourdes, emballé de quoi affronter toutes les météos et dépoussiéré mon français scolaire.
A Lourdes, il faisait un temps à gros pulls. Nous, les malades, nous nous déplacions dans les voitures d’infirmes qui nous avaient été attribuées, des pousse-pousse tirés et poussés par nos brancardiers et brancardières, de la basilique du Rosaire à notre première messe, passant (selon les mots de Wendell Berry) à travers « une bénédiction vécue au milieu d’un détestable cercle de feu ».
Il y avait beaucoup de vendeurs à l’extérieur du temple : des vendeurs des rues, des marchés de produits fermiers, de vin ou de fromage, des boutiques de souvenirs religieux, des mendiants avec leurs incontournables compagnons à quatre pattes. Et nous-mêmes avions laissé derrière nous notre propre « commerce interieur » : traitements médicaux, soucis économiques, émissions de télé – toutes distractions susceptibles d’amoindrir notre « bail en France ».
Nous avons eu la possibilité de nous confesser, de participer à l’adoration eucharistique, aux processions aux flambeaux. Il y a eu l’onction des malades, par le cardinal Wuerl de Washington. Nous avons participé à une liturgie de bénédiction. Fréquenté les piscines du sanctuaire. Médité les stations du chemin de croix et chanté les vêpres avec les Carmélites. Partagé des repas de type familial.
Nous étions une famille. Toutes nos heures de veille étaient baignées d’une tendre affection, d’une paix profonde, sans compter notre temps. Le bienheureux Jean-Paul II observe dans sa Lettre aux Familles que le rationalisme moderne ne tolère pas le mystère. Pourtant, même un sceptique pénétrant dans le domaine de Lourdes sentira que quelque chose d’extraordinaire s’y est passé en 1858. Et s’y passe toujours de nos jours.
Où que nous nous trouvions et quoi que nous fassions, nous étions environnés par la splendeur de l’Eglise Universelle, parmi des hommes et des femmes de la plupart des races, cultures, langues, âges, états de santé ou de grâce.
Etais-je guérie ? Beaucoup de transformations se sont produites pendant ce temps. Des épiphanies comme celle de Paul lors de son voyage vers Damas sont exceptionnelles, mais quelle que soit la durée nécessaire, le résultat d’un voyage à Lourdes est le même : une conversion du cœur plus qu’une guérison du corps. Et un certain laps de temps est généralement nécessaire pour obtenir l’un ou l’autre résultat.
Mes cancers sont en rémission, et je crois que le temps sera mon ami. Une blessure de mon âme se cicatrise, et c’est un miracle suffisant pour moi.
L’une de mes sœurs en pélerinage est morte depuis notre retour aux Etats-Unis, mais son souhait le plus cher a été réalisé à Lourdes. Devant la Grotte, son mari et elle ont renouvelé leurs vœux de mariage. C’était un avant-goût du Ciel.
C.S. Lewis a écrit qu’il lui semblait parfois que les gens ne voulaient pas réellement aller au Ciel, « mais bien plus souvent, je me suis pris à songer : au plus profond de notre coeur, avons nous jamais désiré quoi que ce soit d’autre ? »
C’est la griffe secrète de chaque âme, le désir incommunicable et inapaisable, la chose que nous désirons avant d’avoir rencontré nos épouses, bâti des amitiés, choisi une profession, et que nous désirerons encore sur notre lit de mort, quand épouse, ami ou travail déserterons notre esprit. Tant que nous serons, il en sera ainsi. Et si nous perdons cela, nous perdons tout.
Je vis maintenant dans la résonnance ondoyante de Lourdes. Je suis consciente des roses jaunes sur les pieds nus de Notre-Dame. Je vis sur le chemin de la beauté, quoiqu’avec les épines de ces roses. Eucharisteo !
Karen Walter Goodwin, une nouvelle contributrice de The Catholic Thing, est productrice, avec une douzaine de spectacles de Broadway à son actif. Elle a fondé Fith Avenue Entertainment et travaille au département des affaires économiques et du conseil consultatif de l’université catholique d’Amérique, où elle est professeur.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/eucharisteo.html
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Photo : L’auteur accueillie par le cardinal Wuerl