Les mots sont comme des paquets. Par exemple, quand un candidat président dit qu’il veut « redistribuer » les richesses, cette déclaration peut sembler inoffensive à certains — une façon peut-être de donner un coup de pouce aux pauvres — alors que pour d’autres c’est un drapeau rouge planté en plein cœur de la Constitution. Seuls le temps et l’expérience peuvent révéler ce que projetait le candidat, s’il ou elle est élu. On enlève la ficelle et on ouvre le paquet.
Considérons de nombreux adjectifs fréquemment employés en politique : Conservateur et de droite ; libéral et de gauche. Et « progressiste ».
Du temps des années 80, un des plus grands journaux a pu écrire que le président conservateur des Etats-Unis provoquait de l’agitation parmi les conservateurs du Kremlin. On peut comprendre que les lecteurs aient été désorientés.
Certains termes politiques sont tellement chargés de sens contradictoires qu’ils sont inutilisables. Ils sont passe partout, ou même à contre sens, car ils ont « des significations larges et vagues, du fait de leur utilisation très répandue dans toutes sortes de situations ».
Cependant, certains font de l’effet, et aucun n’en fait plus que « progressiste ».
A-t-on jamais entendu quelqu’un être compris du public en se qualifiant lui-même de « régressiste » — en politique, économie, ou en matière de Foi ? Etre progressiste permet jusqu’à un certain point, d’avoir un avantage immédiat et instinctif sur un conservateur. Comme le dit l’affirmation populaire, qui existe en bien d’autres contextes que politiques, « tu mènes, tu suis ou tu t’en vas ». Le progrès est inévitable, et par le fait même, on ne peut pas l’arrêter. Seul un fou peut se dresser en travers de l’histoire et crier « Stop ».
Dans le contexte de la religion, et particulièrement de la foi catholique, on distingue l’Eglise conservatrice avant Vatican II et l’Eglise progressiste après. Ainsi certains traitent l’initiateur du concile, Jean XXIII de « dernier pape », d’autres de « Bon pape » : Scélérat pour les conservateurs ; héros pour tous les progressistes.
Le nouveau livre de Greg Tobin Le bon pape ; L’action d’un Saint et le renouvellement de l’Eglise – L’histoire de Jean XXIII et de Vatican II, part du point de vue que le pape était décidément une sorte de progressiste.
Angelo Giuseppe Roncalli a eu une vie et une carrière extraordinaires avant son élection comme souverain Pontife. De même qu’un certain nombre de ses prédécesseurs, il est devenu célèbre parmi ses congénères en grande partie grâce à sa carrière diplomatique, au cours de laquelle il s’est montré avisé comme le serpent, et doux comme la colombe (Mt 10 ; 16), bien qu’on ne se souvienne que de sa douceur. J’aime beaucoup une anecdote que relate Monsieur Tobin : nommé délégué apostolique à Istanbul, l’archevêque Roncalli fit face à l’interdiction par Atatürk des vêtements cléricaux en portant un costume tailleur et un chapeau melon. On a dit qu’il « avait l’air d’un employé de banque au mariage de la fille du directeur administratif ».
Le travail de Monsieur Tobin est facile à lire bien que les lecteurs qui chercheraient à savoir comment et pourquoi le Pape a renouvelé l’Eglise — ou même s’il l’a vraiment fait — ne seront pas convaincus par les affirmations du sous titre du livre ou par des déclarations sommaires comme celles-ci (à propos de la première session du Concile et la dernière encyclique du pape) :
L’immense réalisation de Jean XXIII a été de permettre aux évêques les plus lointains de comprendre que l’Eglise était vraiment « catholique », vraiment universelle.
Ou, plus loin
Pacem in Terris… Dans la plus catholique des encycliques du pape… sa substance et ses consignes ont changé le discours politique de ceux qui mènent le monde dans son sillage.
Un homme de loi pourrait objecter que ceci se réfère à des faits non prouvés, ce qui ne suggère pas pour autant qu’une espèce de révolution n’ait pas suivi « dans le sillage » de Jean XXIII et du travail du Concile. Mais est-ce que les documents du concile, et plus tard leurs interprétations vraies ou fausses, reflétaient bien la pensée du pape Jean ?
Monsieur Tobin écrit qu’un cardinal libéral parmi les plus influents, était un « progressiste qui soutenait complètement le programme de Jean » ce qui impliquerait que Jean XXIII était un progressiste. (Et le Cardinal Alfredo Ottaviani, qui joue un rôle important dans ce mélodrame, était un conservateur.) Ceci est discutable d’autant plus que le « progressisme » s’est développé au cours du demi-siècle qui a suivi la mort de Jean XXIII.
Ne relisons pas la vie d’Angelo Roncalli à la lumière du libéralisme contemporain. A lire Tobin on ne soupçonnerait jamais que ce Pape s’est opposé à l’avortement, à l’insémination artificielle, à la contraception, au divorce, à l’euthanasie, à l’ordination des femmes, et (intéressant par rapport à une crise postérieure) à l’admission des homosexuels dans les séminaires.
Monsieur Tobin a certainement raison de conclure que, par delà les politiques partisanes, Sa Sainteté Jean XXIII a été un « homme et un pape extraordinaires », et que peut-être il mériterait d’être béatifié.
Mais disons aussi, en toute charité, qu’il a lâché les renards dans le poulailler, ce qui a créé ce que Benoit XVI a nommé une « herméneutique de discontinuité et de rupture ». Le Concile que Jean XXIII a lancé se voulait pastoral et non doctrinal. Jean XXIII était lui-même un grand pasteur.
Et il est juste de se demander si toute cette pastorale a mené à un faux personnalisme? Jean Paul II a prêché le vrai personnalisme du don de soi (de même que le concile « gaudium et spes ») « La personne est un bien envers qui la seule attitude correcte et adéquate est l’amour » Mais il se peut que trop de catholiques, après Vatican II, aient permis que le personnalisme devienne synonyme de subjectivisme ou relativisme.
Y a-t-il vraiment quelqu’un pour croire que Jean XXIII aurait voulu ce résultat ?
— –
Brad Miner est Editeur Senior de « The Catholic thing », Membre senior de l’institut Foi et Raison, et membre du bureau d’aide à l’Eglise en détresse des Etats-Unis.
— –
Traduction de « Hagiography Made Simple » http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/hagiography-made-simple.html