J’avais l’habitude il y a quelques années de m’entretenir régulièrement avec des représentants des gouvernements des pays d’Europe centrale et j’ai, depuis, souvent voyagé dans cette région. L’endroit en vint à me fasciner pour des raisons qui ne m’apparaissaient pas clairement alors.
L’Europe centrale recouvre une grande variété de peuples et de territoires. La Lituanie par exemple semble à l’évidence très « catholique » alors que l’Estonie ne l’est pas. Les différences entre Tchèques et Slovaques ont produit la « séparation de velours » après la fin de la guerre froide. La Pologne et la Croatie possèdent des racines catholiques fort profondes qui ont joué d’une manière différente de ce qui s’est passé en Hongrie. Les développements récents politiques et économiques ont accusé les différences entre chaque pays à tel point que l’on peut se demander s’ils constituent encore une seule région.
Que l’on découvre ces endroits pour la première fois ou qu’on les ait fréquentés toute sa vie, il y a au-delà de toutes les différences, un « esprit » et une sensibilité bien particuliers aisément identifiables dans le climat, l’architecture, l’expérience historique et la vision du monde.
Lors de toutes mes rencontres, que ce soit avec des officiels ou des hommes de la rue, connus à travers mes relations catholiques, des jeunes pour la plupart au début des années 2000, émanait une appréciation de la liberté qui n’avait pas d’équivalent parmi leurs homologues européens ou américains. Les souvenirs des années de règne communiste étaient très vifs pour ces hommes et ces femmes. L’un me raconta que l’on avait prévenu ses parents que ses chances d’étudier à l’Université seraient meilleures s’ils cessaient d’aller à la messe. Ce genre de harcèlement était commun.
L’une des raisons de ma fascination pour cette région est que des catholiques et des protestants aient pu maintenir intacte leur foi en dépit des grâcieux avantages offerts par un Etat bureaucratico-administratif si puissant et si moderne. Cet Etat n’avait de cesse d’user de tous les moyens technologiques les plus avancés disponibles aux fins de laïciser la société et de confiner la religion au mieux à la maison et à l’intérieur de quelques églises dûment autorisées. Nous avons quelque chose à apprendre de leur expérience.
Des points de ressemblance entre notre situation et la leur ont été récemment mis en évidence par John Hittinger de l’Université St-Thomas à Houston. Il s’appuie sur les avertissements proférés au début de cette année par le cardinal George (archevêque de Chicago) concernant les conséquences de l’obligation faite par le ministère de la Santé d’avoir à assurer les moyens de contraception, contraignant de ce fait les institutions religieuses à se laïciser ou à fermer. Le cardinal faisait remarquer que la constitution soviétique garantissait également la liberté religieuse mais que la réalité était fort différente et extrêmement difficile. Certains dignitaires de l’Eglise orthodoxe russe avaient un grade et percevaient des émoluments du KGB.
Le principal opposant catholique à cette guerre froide n’était autre, bien sûr, que le cardinal polonais Wojtyla, plus tard Jean-Paul II. Son plan pour l’Eglise dans cette conjoncture pouvait se décliner en quatre points :
« 1) invoquer le droit et la morale à l’encontre des attaques injustes contre ses actions et ses institutions ;
2) enseigner sans cesse la vraie foi et ses applications dans tous les secteurs de l’existence ;
3) utiliser toutes les occasions pour exprimer la solidarité avec les Catholiques attaqués et les institutions menacées ; commémorer les événements marquants et les héros de la foi dans nos pays respectifs ;
4) défier courageusement et combattre les tactiques de division « en haut et en bas » et savoir faire respecter la discipline doctrinale et pratique nécessaire au maintien de l’unité de la foi. »
Facile à dire, difficile à faire. Le pape gagna la guerre. Mais, au long des batailles, nombreux sont ceux (y compris au sein du clergé) qui furent cooptés par l’Etat et collaborèrent à ses œuvres.
Ce qui s’est passé au long de ces années en Europe centrale et qui permit au christianisme d’y survivre semble n’avoir été que l’épisode le plus récent de ce que le (défunt) père Stanley Jaki, natif de Hongrie, a décrit dans son livre L’Eglise de l’Archipel. Il y défend la thèse selon laquelle, au siècle dernier comme de tout temps, lorsque « la tempête de la destruction morale » vient à souffler, l’Eglise, plutôt que de rester un continent compact, épouse les formes d’un archipel d’îles de sainteté et de vérité. Les saints soutiennent ces îles à travers les âges même si la position géographique de celles-ci varie au gré des aléas de l’Histoire.
De tels îles (ou îlots) persistent en Europe occidentale où le processus de laïcisation au cours des deux derniers siècles s’est poursuivi sans l’aide du régime communiste. A travers l’Europe, un problème important quoique différent est soulevé par la collaboration plutôt amicale apportée à ce processus de laïcisation de la part d’une Eglise qui, bénéficiant d’un statut légal et de subventions de l’Etat, est redevable d’un vaste appareil administratif.
Les fonds que les institutions catholiques reçoivent du budget fédéral aux Etats-Unis suscitent le même état de tension lorsque l’alternative est entre résister aux abus de pouvoir de cet Etat et perdre les subventions aux œuvres de l’Eglise. Les catholiques américains ont traditionnellement soutenu les grands projets sociaux du gouvernement. Le surcroît de financements qui en découle pour l’Etat s’accompagne d’un accroissement de pouvoir qui peut être utilisé pour n’importe quel objet, comme en témoigne l’instruction du ministère de la Santé.
Les îles de l’archipel constituent « l’organisme vivant » de l’Eglise dont les structures ecclésiastiques sont le squelette. Selon le P. Jaki, la nouveauté introduite par Vatican II (Concile sur lequel il émet de sérieuses réserves) fut de reconnaître le rôle des laïcs. Pour soutenir l’archipel, pour mettre en œuvre le plan en quatre points du cardinal Wojtyla, les laïcs sont appelés à jouer un nouveau rôle aux côtés de la hiérarchie. Ce rôle sera un des thèmes majeurs de la nouvelle Année de la Foi qui commence le 11 Octobre
Certes l’on peut espérer que l’Amérique est encore loin de l’Europe centrale des années 60. Il serait abusif de comparer notre situation avec celle des Chrétiens qui étaient confrontés au Léviathan communiste. Il reste que ceux qui ont émergé de cette région depuis le milieu du XXe siècle, avec l’expérience du nettoyage de toute influence religieuse dans l’espace public opéré par l’Etat laïc, ont beaucoup à nous apprendre à ce moment de notre propre histoire.
Note de la rédaction de The Catholic Thing : Les parallèles entre les limites apportées à la liberté religieuse que nous commençons de rencontrer aux Etats-Unis et l’histoire d’autres nations ne sont plus des exercices forcés. Le professeur Wood, qui possède une longue expérience professionnelle publique, l’établit clairement ci-dessous. Nous Américains rechignons à ce type de comparaisons mais nous ne sommes pas au-dessus de l’Histoire ou de la commune nature humaine. Dans les circonstances actuelles, nous nous devons de parler avant qu’il ne soit trop tard ou au moins préserver des archipels de sainteté, de vérité. Pratiquement tous nos articles paraissent en français sur le site de France Catholique, ainsi que régulièrement en d’autres traductions. Notre œuvre est appréciée dans ces pays parce qu’il ne s’y trouve guère d’équivalent…
Robert Royal
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Note de la rédaction de France Catholique : C’est vrai les articles de The Catholic Thing donnent un éclairage unique sur la vie de l’Eglise aux Etats-Unis, avec souvent le sentiment que ce qui arrive là-bas aujourd’hui nous concernera directement chez nous très bientôt. Cependant notre formidable équipe de traducteurs a parfois l’impression d’être bien isolée. Nous aurions besoin de nouveaux traducteurs bénévoles en français et – pourquoi pas ? – dans d’autres langues…
france-catholique@wanadoo.fr
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/lessons-from-central-europe.html
En illustration : L’icône de la Vierge Noire Częstochowa.