Quand j’avais douze ans, j’ai eu la chance d’avoir un professeur de biologie extraordinaire. Son nom: M. Henry. (On ne donnait pas les prénoms à l’École Patana de Bangkok.) C’était un Américain du Middle West, d’âge moyen, égaré dans l’environnement d’une école plutôt britannique.
Nous étions une quinzaine dans la classe, mais seulement quatre vraiment intéressés, et il ne s’occupait pas des autres même lors de chahuts. Son élocution: un murmure. Mais il dessinait au tableau noir des images et diagrammes d’une beauté fantastique et nous projetait des illustrations de même qualité. (mon grand regret est de n’en avoir pas conservé).
M. Henry nous emmenait pour des sorties dans la nature. La première, vers le « klong », canal passant juste sous l’école; la plus remarquable: au bord d’une mare dans un petit bois tropical incrusté dans la ville. Là, avec son microscope et des diapos, il s’épanouissait. Ce n’était pas que la révélation dans le microscope, c’étaient les descriptions captivantes entraînant nos yeux à distinguer les détails.
Pour cet homme étrange et fort gentil, toute la nature était un miracle, formant un ensemble qu’il décrivait avec un immense talent. Pour lui, les plus minuscules créatures microscopiques avaient une personnalité.
C’est de M. Henry que je tiens l’habitude du raisonnement empathique. Si vous voulez comprendre quelque chose, investissez-la par la pensée. Emplissez-vous de tous les faits objectifs la concernant. Rappelez-vous toujours que la créature est un être vivant. Ou, si c’est un objet inanimé, imprégnez votre pensée de sa structure et des forces physiques élémentaires qui agissent dessus. (Plus tard, j’ai appris du grand architecte Ron Thom que sa démarche était exactement la même lors de la contemplation d’un édifice.)
Les connaissances de M. Henry étaient époustouflantes, non seulement en biologie, mais en Histoire de la pensée de la biologie. Et il se régalait de questions idiotes, rappelant toujours que « les questions les plus utiles sont généralement les questions idiotes. » (inversement, les « bonnes » questions ne sont posées que pour la galerie.)
Je crois qu’il a été licencié à la fin de l’année, pour incompétence. Presque toute la classe avait échoué avec lui.
Entre temps, il nous avait enseigné le respect envers la nature. De ce que j’ai appris ensuite en biologie, je comprends bien qu’il n’ait pu poursuivre.
N’ayant jamais été dérangé par le paradigme de l’évolution — l’évolution des espèces selon tel ou tel critère — je n’ai jamais été « Darwiniste », ni « Néo-Darwiniste ». Même pas dans mes jeunes années où j’étais un ardent prosélyte de l’athéisme, mais aussi prosélyte à l’encontre du Darwinisme que je tenais simplement pour erroné et impossible. Expliquer la sélection naturelle par des mutations aléatoires (et toutes les tentatives pour disséquer le hasard) n’avait pour moi aucun sens.
Je devrais peut-être en faire reproche à M. Henry, car il insistait non seulement sur la complexité de chaque créature, mais aussi de chacun des composants de chaque créature; pour lui, un fossile n’était pas une simple empreinte. « Partout, notre regard doit distinguer de fines particularités, ou, pour mieux dire, un « projet ».»
Je ne suis pas non plus un sherpa de la « théorie de « la création intelligente ». Je ne suis pas persuadé que ce soit une « théorie ». C’est une évidence éblouissante. Où que l’on regarde dans la nature, on découvre un dessein, et plus on scrute, plus on en constate l’intelligence; poussant jusqu’aux chromosomes, il y a encore à comprendre au-delà. Un dicton japonais l’exprime bien: « alors que le rayon de la connaissance s’accroît, la circonférence de l’ignorance s’agrandit. »
La science occidentale, comme devraient en être persuadés les gens instruits, est fondée, s’appuie, sur une profonde pénétration théologique. C’est la conviction que Dieu est raisonnable, qu’Il ne se contredit pas, que Sa création doit être sensée. L’édifice de la science moderne repose sur la certitude que nous trouverons des raisons dans la nature elle-même, non pas parfois mais à coup sûr.
Parmi les découvertes publiées la semaine dernière par le consortium « Encode » 1 on a pu voir une présentation de science occidentale fondée sur une pure théologie. D’un coup on a découvert que la proportion d’ADN humain doté d’une fonction biochimique était non pas d’environ 2% mais de 80%. Bien sûr, certaines de ces fonctions sont mineures — par exemple, la simple duplication en fait partie.
Mais on a rejeté l’idée d’un « ADN mineur ». Ce qui était en première ligne dans le conflit entre les matérialistes athées et les tenants d’une création intelligente [Créationistes]. Richard Dawkins 2 et beaucoup d’autres avaient utilisé l’expression « ADN mineur » pour moquer les tenants de la « Création intelligente » qui persistaient à annoncer la découverte d’un tas de fonctions encodées ainsi.
Je suis effaré par la méchanceté des attaques lancées contre les tenants de la « Création intelligente ». On proclame la disqualification du domaine scientifique de ceux qui mettent Dieu en avant — exégètes bibliques ou biologistes renommés. Voilà un comportement qui voudrait éliminer la plupart des grands expérimentateurs scientifiques de notre Histoire.
Les attaques ad hominem sont de pratique courante, associées au sarcasme vicelard et à la diffamation. Ceux que l’on soupçonne d’accointances avec le créationnisme sont écartés des centres de recherche subventionnés (et les projets tels que « Encode » nécessitent d’immenses soutiens financiers) — puis on les critique de n’y avoir pas participé.
Je me demande ce qu’ils auraient fait à M. Henry s’il avait passé la tête au-dessus du parapet de la tranchée.
« Et pourtant, elle tourne », comme l’a dit Galilée. Et pourtant nous fouillons une structure génique d’une complexité extraordinaire, avec toutes les chances de découvrir un dessein chargé d’interdépendances. Et là où nous avons découvert une simple fonction, nous pouvons retourner pour en découvrir d’autres — car nous fouillons un mécanisme qui dépasse nos propres conceptions intellectuelles, et donc possède une faculté d’adaptation.
Voilà ce que nous attendions, animés par notre vieille pénétration théologique. Ce que ceux qui prétendent que nous sommes allés trop loin n’attendaient pas.
David Warren, ancien collaborateur au magazine « Idler ».