J’ai quelques scrupules à aborder aujourd’hui un sujet des plus délicats. Mais comment y échapper alors qu’il faisait la Une de Libération hier, et ouvrait, la semaine dernière, le supplément littéraire du Monde ? Les deux journaux nous présentent le dernier roman de Christine Angot intitulé Une semaine de vacances comme l’événement et même le chef-d’œuvre de la rentrée. Tous ne sont pas d’accord, puisque le Journal du Dimanche a publié de son côté une critique dévastatrice du même ouvrage. Mais le fait est que Christine Angot fait parler d’elle ! Elle fait parler à propos d’un sujet sur lequel on me permettra de m’exprimer avec la plus extrême pudeur, puisqu’il s’agit de l’inceste. Il ne fait aucun doute — la romancière ne cache rien du caractère autobiographique de son récit — que Christine Angot a été blessée profondément par un traumatisme qui a décidé du cours de sa vie. D’ailleurs, c’est le second roman qu’elle consacre à cette blessure inguérissable.
Je ne ferai pour ma part aucune objection à sa liberté d’écrivain. Elle serait tout à fait fondée à se réclamer d’une tradition littéraire où les choses les plus délicates, les plus impossibles ont été évoquées. Je pense à Dostoïevski et même à Bernanos. Le propre de l’écriture, comme de l’art en général, consiste à traiter les tragédies intimes sur un certain mode, qui n’est justement pas celui de la presse à scandale et des reality-show. La grande littérature établit une distance à l’égard du sordide pour faire retentir le cri de l’âme, l’expression de la vox cordis, de la voix du cœur qui est aussi celle de la conscience bouleversée.
Mais voilà, le climat moral d’une époque conditionne la réception de tels ouvrages et même n’est pas étranger à l’inspiration de ceux et celles qui veulent exprimer l’indicible. Je lis à ce propos la présentation de Jean Birnbaum, responsable du Monde des livres qui parle « d’effroyables vérités », en interpellant ses lecteurs : « Regarde cet intellectuel en Lacoste, ce donneur de leçons qui ne manquerait le Monde du jour sous aucun prétexte. Observe la savante précision de ses gestes, le raffinement de l’infâme rituel, la charité dans la cruauté. Et considère maintenant ce qu’il suscite en toi, ce cérémonial d’humiliation ? » Que faut-il comprendre ? Christine Angot tendrait-elle un miroir à un certain milieu ? Conforterait-elle l’idée que depuis le XVIIIe siècle un certain marquis de Sade mène la danse d’une sexualité compulsive qui accomplit toutes les transgressions ?