LE DETROIT NE NOUS SEPARE PAS, IL NOUS REUNIT - France Catholique
Edit Template
Marie dans le plan de Dieu
Edit Template

LE DETROIT NE NOUS SEPARE PAS, IL NOUS REUNIT

Copier le lien

L’association Compostelle-Cordoue http://www.compostelle-cordoue.org a été fondée par des pèlerins de Compostelle, de Jérusalem et de la Mecque en avril 2009 qui mettent en commun leurs expériences pèlerines au service du « vivre ensemble ». Dans l’esprit de Compostelle, chacun marche dans sa propre fidélité et témoigne de la spiritualité dont il est dépositaire, approfondissant ainsi sa vision du monde et son désir de paix.

Après la marche qui reliait Compostelle à Cordoue en novembre 2010 et la tenue du colloque qui suivait, les marcheurs de l’Association Compostelle Cordoue viennent d’entreprendre un nouveau périple intitulé « Le détroit ne nous sépare pas il nous réunit ». Partis de Ronda (Espagne) ils ont rejoint Algesiras, puis le mausolée de Moulay Abdessalam, un saint soufi marocain.

Cette manifestation a réunit vingt-sept femmes et hommes, désireux d’ouvrir des chemins de compréhension, de partage et de dialogue. Venus de Belgique, de France, de Suisse et d’Espagne, de tradition musulmane, chrétienne et bouddhiste. Ils ont été royalement accueillis par les scouts musulmans, la Tarîqa Alawiya et son guide spirituel, le Cheikh Khaled Bentounès, entouré de cent cinquante musulmans engagés dans la voie soufie. http://aisa-net.com,.

Le rapprochement des peuples à travers les quinze kilomètres du détroit de Gibraltar est une longue histoire. De nos jours, les ferries à grande vitesse y croisent les ombres des radeaux et des bateaux fantômes. Les polices maritimes et portuaires traquent les « clandestins ». Car, si le détroit demeure source de fantasmes, il est aussi source de trafics en tout genre, avec sa cohorte de violences et de morts1.

Depuis des siècles, les prophètes du Nord et du Sud enseignent que les différences constituent une grande richesse. Les bateaux du détroit prient la même mère, la Méditerranée, leurs voiles se gonflent du même Souffle, le monothéisme et voguent sur le même mythe, notre père Abraham.

Mais de l’angélisme au radicalisme, la frontière est étroite. Aujourd’hui, les espaces d’esclavage, de guerre et de non-droit se multiplient autour de la Méditerranée. Les frontières se ferment et se militarisent. Les pensées se radicalisent, les espoirs se révoltent avec violence, les supposés pacifismes se combattent. Sur la place publique comme dans les lieux sacrés, les faux prophètes manipulent le fait religieux et en appellent à la victoire.

En conscience nous, Association Compostelle-Cordoue, ne portons pas ce regard sur le monde. Et nous le disons … avec nos pieds. Promouvoir la marche en groupe comme vecteur de rencontre est la spécificité de notre Association. Pour combattre l’ignorance, pour prononcer la parole juste, pour combler les ruptures, pour se rapprocher de l’autre, il convient au préalable d’agir ensemble. Et quelle meilleure action que de marcher, d’accepter les exigences, les efforts et les aléas du chemin ? Quand on a traversé ensemble les mêmes levers de soleil, les mêmes brouillards, les mêmes faims, les mêmes joies, les mêmes tendinites et les mêmes ampoules aux pieds, on ne pourra plus jamais s’ignorer, s’insulter, ou même s’envoyer des bombes sur la tête.

Le pèlerin est avant tout un pèlerin, quelle que soit sa carte d’identité. Son regard dépasse les identités, les coutumes, les frontières, les siècles et les religions. Il répond à l’appel de son étoile, celle de la réconciliation. Au fur et à mesure des kilomètres, il se dévêt des prêt-à-penser. Il quitte les idées bien assises, se lève et part plus loin que le visible.

Chers enfants du détroit

Vous êtes comme des funambules, en équilibre entre Maroc et Andalousie. Comme nous hier, la vie vous soumet au terrible défi du «libre ensemble ». Nous sommes venus vous encourager, vous dire notre confiance et notre gratitude. Soyez patients, ce n’est que dans l’éternité du flux et du reflux que le détroit accomplit sa mission de paix.

Chers enfants du détroit ! Vous êtes la promesse vivante, l’inéluctable futur. Et nous refusons que vos âmes habitent les essieux des camions ou les fosses marines. Vos âmes ailées habitent un pays bien plus large que celui des pensées, un pays lumineux que nous ne verrons jamais, même dans nos rêves les plus fous. Car vous êtes, Alléluia, les fils et les filles de l’appel à la Vie qui renaît à elle-même3. Et si le cœur du Petit Prince voit si bien, ce n’est pas que l’aviateur voit si mal. C’est qu’il ne se limite pas à son propre cadre conjoncturel, à sa survie, à ses propres rigidités éducatives4.

Chers enfants du détroit ! Nous avons marché pour vous annoncer cette évidence : Ce n’est pas parce qu’ils sont juifs, chrétiens ou musulmans que les hommes et les femmes se massacrent, c’est justement parce qu’ils ne le sont pas assez5. Nous avons marché pour psalmodier d’une seule voix qu’il n’y a de Dieu que Dieu. Qu’Il n’est prisonnier d’aucune pensée, d’aucun livre, d’aucun rituel. Ni les nôtres, ni les vôtres. Car Il n’est jamais deux. Il est éternellement Un.

Chers enfants du détroit ! Nous sommes venus vous dire notre foi dans le maintenant et dans la main tenue. Nous sommes venus invoquer le cœur de Moulay Abdessalam. Nous sommes venus implorer la thérapie de l’âme6 pour notre propre guérison. Et celle du Monde. Nous sommes venus vous dire que mentir c’est mentir et que tuer c’est tuer, quelles qu’en soient les bonnes fausses raisons initiales.

Nous sommes venus vous rencontrer ici, dans le Rif, parce que le détroit n’est pas une malédiction, mais une barakah, une bénédiction pour l’humanité. Parce que le détroit ne sépare pas, mais qu’il réunit le Nord et le Sud dans un seul et même regard bienveillant. Parce qu’’il réunit les enfants d’Averroès, de Maïmonide et d’Alphonse le Sage dans un seul et même Esprit. Celui de Cordoue.

Nous sommes surtout venus vous dire qu’il n’y a pas d’affrontement des civilisations. Il n’y a que des affrontements de non-civilisés. Ultreïa y buen Camino !

André Weill