Les catholiques de tendance conservatrice sont intéressés par tout ce qui explique comment la trajectoire philosophique depuis les Lumières a produit les mentalités moderne et post-moderne, de la façon dont Vatican II a été vécu dans la catéchèse et la liturgie jusqu’à l’abandon de la loi naturelle et les échecs du pluralisme dans la politique américaine. Cela et les dangers qui en découlent sont assurément de réelles préoccupations.
Mais je m’inquiète parfois que nous puissions, en étudiant soigneusement ces questions, nous isoler inutilement. Nous pourrions descendre dans nos catacombes plus tôt que nécessaire, et plusieurs d’entre nous commencent déjà à penser à de petites communautés qui, comme les monastères bénédictins, tenteraient de maintenir l’ordre et même de faire avancer la vérité dans un monde chaotique où philosophies et politiques sont défaillantes.
Nous devons prendre garde que ces communautés ne soient pas des ghettos repliés sur eux-mêmes. Il y a des sources hors de notre champ habituel qui peuvent nous offrir beaucoup.
Un bon exemple en est le livre récemment paru de Robert Zubrin : Merchants of Despair : Radical Environmentalists, Criminal Pseudo-Scientists and the Fatal Cult of Antihumanism (Marchands de désespoir : écologues radicaux, pseudo-scientifiques criminels et culte néfaste de l’anti-humanisme).
Zubrin est bien connu pour son soutien à l’exploration spatiale et à l’envoi de personnes sur Mars. Il a fondé la Mars Society et la dirige toujours. Il a écrit dans le détail les pourquoi et comment de la terraformation, c’est-à-dire de la modification des autres planètes afin qu’elles deviennent habitables et puissent être colonisées. Mais ce n’est pas un doux rêveur. Il a les pieds sur terre et a été ingénieur chez Lockheed durant une grande partie de sa carrière professionnelle.
Merchants of Despair, pourtant, parle de l’humanité sur la Terre. Zubrin parle de l’humanité en général sans jamais perdre de vue les personnes concrètes. L’esprit pénétrant de Zubrin, son empressement à questionner les vérités admises de mouvements prétendument scientifiques et ses capacités d’ingénieur pour tester des hypothèses lui donnent une portée redoutable.
Zubrin introduit ses propos par des citations s’opposant. D’abord Shakespeare, vers 1600 dans Hamlet :
« Quelle œuvre est l’homme, noble par sa raison, infini par ses facultés, rapide et admirable de forme et de mouvement, semblable à un ange dans ses actions, presque un dieu ! la beauté du monde, le modèle des animaux… »
Ce passage de Shakespeare me rappelle toujours le psaume 8 :
Quand je regarde les cieux, l’œuvre de tes mains
La lune et les étoiles que tu as établis ;
Qu’est donc l’homme pour que tu t’en soucies
Le fils de l’homme, que tu prennes soin de lui ?
.
Tu as fait de lui un peu moins qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur
Et tu lui a donné la domination sur l’œuvre de tes mains…
A l’encontre de la noble raison et des facultés de l’homme, Zubrin cite les mots du Club de Rome, la fameuse organisation anti-croissance dont les prédictions des années soixante et soixante-dix se sont montrées spectaculairement fausses :
« Le monde a un cancer et ce cancer est l’Homme. »
Partant de ces vues radicalement différentes de l’Homme et de sa place dans la création, Zubrin démolit de nombreuses croyances pseudo-scientifiques très répandues ces deux dernières décennies. Il montre les résultats humains catastrophiques de la pensée malthusienne, cette croyance que la population va inévitablement excéder les ressources qui lui sont nécessaires. Il prend le traitement de l’Irlande et de l’Inde par le gouvernement britannique comme dramatique cas d’école (notant que la politique gouvernementale était alors contraire à l’opinion publique britannique).
Il décrit « l’inversion morale de Darwin ». Zubrin nous l’assure : « l’évolution est un fait. » Mais il nous fait remarquer que Dawin n’a pas découvert l’évolution mais en a plutôt présenté une explication plausible sous la forme de la sélection naturelle. Le prolongement de cette nouvelle vision des moyens naturels d’évolution dans l’idée que « les nations civilisées remplacent partout les les nations barbares » se montrerait la théorie la plus épouvantable que l’histoire ait connue.
Darwin (et Malthus) ont fait le travail préparatoire qui a fait le lit de l’infect mouvement eugéniste, avec sa croyance que l’élimination des peuples et nations inférieurs conduirait au paradis sur terre. Ici, les Etats-Unis entrent en scène.
Le Museum Américain d’Histoire Naturelle s’est révélé avoir facilité les choses en rassemblant les premiers partisans de l’eugénisme.
Zubrin dessine la ligne de causalité entre les soutiens britannique, américain et germanique à l’eugénisme malthusien et darwinien et l’Holocauste et la variante de l’eugénisme postérieure à la seconde guerre mondiale connue sous le nom de « contrôle des populations ». De là, la même tradition intellectuelle aboutit au mouvement vert et à l’écologie radicale.
Zubrin croit avec une conviction sans faille dans la capacité créatrice de l’homme dans tous les domaines de l’agriculture sur Terre à l’agriculture sur Mars. Certains verront dans ses écrits une trace de la même prétention matérialiste que celle professée par les Darwiniens et leurs successeurs : le statut de l’homme-dieu.
Je crois plutôt qu’il essaie de restaurer la vision de la place de l’Homme sur la Terre et dans l’univers que partagent le psalmiste et Shakespeare, et que cette vision représente la culture de vie s’opposant à la culture de mort.
Je ne connais pas les opinions religieuses de Zubrin. Mais je sais qu’il a écrit ceci :
Nous devons rejeter l’antihumanisme et embrasser une éthique reposant sur la foi dans les capacités de l’homme à créer et à inventer. En agissant ainsi, nous faisons la déclaration que nous vivons au début de l’histoire et non à sa fin, que nous croyons à la liberté et non à l’enrégimentement, au progrès et non à la stagnation, à l’amour plutôt qu’à la haine, à la vie plutôt qu’à la mort, à l’espoir plutôt qu’au désespoir.
Dans ce paragraphe, on trouve beaucoup de similarités avec les écrits du pape Jean-Paul II et du pape Benoît XVI.
A une époque où les catholiques trouvent peu de sympathiques compagnons de route, nous devrions lire attentivement ce livre et d’autres du même genre car ils peuvent aider à notre compréhension de la délicate situation présente.
Joseph R. Wood est un ancien fonctionnaire de la Maison Blanche ayant travaillé aux Affaires étrangères, y compris les relations avec le Vatican.
illustration : Robert Zubrin, l’auteur de Merchants of Despair
Pour aller plus loin :
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Anti-verte de rage (Elisabeth Badinter), les féministes contre les écologistes...
- Le Pape compare les avortements eugénistes au nazisme et à Sparte
- L'espérance au temps de l'obscurité et du désespoir
- Le cardinal Müller sur les questions des droits