La célèbre formule de Staline « le pape combien de divisions ? » avait au moins le mérite de souligner la disproportion des forces matérielles entre le plus petit État du monde et les géants surarmés. L’Église est d’abord une réalité spirituelle et, si elle a besoin d’une armature institutionnelle, cette dernière ne saurait rivaliser avec les puissantes administrations des États ou même de l’Organisation des Nations unies. Elle s’appuie humainement sur le dévouement complètement désintéressé de ses acteurs de terrain et de cohortes de bénévoles. À son sommet, aucune comparaison n’est possible entre les quelques centaines de « fonctionnaires » du pape et les dizaines de milliers que nécessite la gestion d’une seule métropole moderne. Ceux qui s’en étonnent méconnaissent la nature de cet organisme central qui ne se comprend que dans le cadre de la mission spécifique de l’évêque de Rome, successeur de Pierre.
C’est pourquoi on s’interroge à propos de certains commentaires récents sur la curie romaine, qui devrait enfin correspondre à un véritable instrument de commandement à l’échelle de la planète. Grâce au ciel, une telle mutation ne se produira jamais, et si, par impossible, elle se profilait, il faudrait la refuser de toute son âme. La curie sera toujours une toute petite chose, ridicule en comparaison des appareils d’État. D’abord, pour une raison de fait : comme l’a souvent dit Émile Poulat, l’Église catholique est fondée sur la plus extrême décentralisation, le pape n’est que « Primus inter pares » et ses frères évêques disposent de la plénitude des pouvoirs des apôtres. Comme l’affirmait déjà saint Ignace d’Antioche, l’Église de Rome préside à la charité et le privilège que la Tradition a toujours accordé à son évêque n’est qu’au service de la communion et de la cohérence de l’ensemble. L’administration du centre romain est nécessaire à la mission du successeur de Pierre, mais elle sera toujours étrangère à la logique des grands appareils. Et si elle accède à certains perfectionnements modernes, elle apparaîtra toujours décalée. De bons et fidèles serviteurs peuvent y rendre de signalés services. Il peut arriver qu’elle marque des signes de faiblesse, et elle sera toujours à réformer. Mais jamais au prix d’une trahison de sa mission !