« Toute croyance est-elle contraire à la raison ? », tel était un des sujets de dissertation proposé hier aux candidats au baccalauréat pour l’épreuve de philosophie, du moins en ce qui concerne les littéraires. J’aurais sans doute choisi celui-là si j’avais eu l’âge de concourir pour beaucoup de motifs dont le premier est qu’il touche un point essentiel pour les chrétiens. Mais qu’entend-on ici par croyance ? Et l’opposition qui est faite entre croyance et raison n’est-elle pas grosse de quelques présupposés qui nous renvoient à une option rationaliste ? Une certaine philosophie de la raison veut que le seul modèle de la science positive réponde aux critères de l’intelligence humaine. Nous serions là dans le domaine du vérifiable, de l’avéré, tandis que la croyance serait forcément du côté du vague, de l’incertain et de l’indémontrable.
Mais je ne puis me lancer dans une dissertation suivie qui embrasserait la complexité d’une telle question. Tout au plus risquerai-je quelques remarques.
Tout d’abord, personne — même le plus athée des athées — ne peut se passer d’une part de croyance. Il se trouve d’ailleurs que l’athéisme moderne s’est souvent converti en ce que Raymond Aron appelait les religions séculières qui, toutes, impliquaient des formes radicales de croyance : au progrès, à la science, à la mission du prolétariat, au sens de l’histoire. Ces religions séculières se voulaient en même temps pleinement rationnelles, mais c’était toujours au prix d’une étonnante illusion. Le croyant sait qu’il croit, très souvent l’athée et le rationaliste croient qu’ils savent.
Sans doute l’esprit critique est-il l’auxiliaire indispensable de la pensée. Encore faut-il qu’il ne devienne pas un obstacle qui paralyse l’intelligence et l’empêche d’accéder à cette faculté d’étonnement dont les Grecs faisaient le point de départ de la connaissance.
Enfin la foi, telle que l’entendent les théologiens, n’a rien à voir avec la crédulité, elle suppose le plus grand investissement de l’intelligence pour pénétrer le mystère. Il est vrai aussi qu’elle fait accéder à une autre dimension, celle que donnent les yeux de la foi. Dans une disserte de philosophie universitaire, il est sans doute difficile de s’aventurer sur un tel terrain. Mais ceux qui ont imaginé un tel sujet ont pris bien des risques !