Je ne sais pas encore si j’irai voir le film de Bernard-Henri Lévy, intitulé Le serment de Tobrouk. En général, les recensions des journaux ne sont pas tendres à l’égard de ce qu’on considère comme un exercice achevé de narcissisme. Ce serait BHL qui prend la pose pour l’histoire en sauveur de la Libye. Voici l’homme, l’intellectuel aux mains nues, qui a persuadé Nicolas Sarkozy et Hilary Clinton qu’il fallait intervenir militairement pour venir au secours d’un peuple massacré par son tyran. La difficulté pour les ennemis tenaces de BHL, c’est qu’il n’est pas possible de nier que l’intéressé a joué un rôle certain dans cette affaire. On peut dénoncer son histrionisme, on est bien obligé de reconnaître que, pour cette fois, le stratège du Café de Flore a bel et bien réussi son coup et que les plus hauts responsables lui en rendent témoignage.
J’ai bien connu Bernard-Henri Lévy au début de sa carrière, lors de cette première aventure qu’il mena à l’enseigne des « nouveaux philosophes ». J’ai noué à ce moment avec lui des liens d’amitié que je n’ai pas oubliés, même si la vie nous a éloignés, ne travaillant pas l’un et l’autre sur les mêmes terrains d’opération. Il est toujours resté le même, brillant, impatient, souvent fulgurant, beaucoup plus lucide qu’on croit sur ses propres faiblesses. Dans certains de ses livres il a fait des aveux qui sonnent un peu comme ceux d’Albert Camus dans La chute, un des meilleurs textes du romancier.
Mais on peut trouver tous les défauts à l’auteur de La barbarie à visage humain, avoir des désaccords profonds avec ses analyses et ses positions, il est impossible — en tout cas, pour moi — de ne pas lui reconnaître une vraie générosité et une flamme intérieure qui lui interdit de renoncer à des causes supérieures.
Il a toujours été fasciné par Malraux ? Je préfère qu’il ait choisi l’écrivain de La condition humaine plutôt que Drieu ou Aragon. Sans doute les catastrophes d’hier empêchaient-elles qu’il ne se perde sur les mauvaises voies. Puisse-t-il briller au service du meilleur, sans oublier que les réalités ne sont pas réductibles aux idées trop simples. Hélas, l’avenir de la Libye demeure incertain, et on ne sait pas comment sortir la Syrie de son horreur sanglante.