J’ai déjà formulé hier les réflexions que m’inspiraient les choix symboliques de François Hollande pour le jour de son investiture. Je ne puis m’empêcher de revenir un instant à la figure de Jules Ferry que le Président saluera tout à l’heure, car elle me paraît révélatrice des incertitudes et des hésitations d’une certaine sensibilité de gauche par rapport au concept de laïcité. De Jules Ferry on cite couramment la lettre célèbre qu’il adressa aux instituteurs au terme de sa mission de ministre de l’Instruction publique en 1883. C’est vrai qu’il s’agit d’un document intéressant, d’une belle délicatesse morale, dont je ne rappellerai que cette seule phrase : « Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille ; parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre : avec force et autorité, toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge. »
Que redire à l’encontre de pareils conseils, qui paraissent d’autant plus louables que leur auteur avait des convictions philosophiques contraires à ces sentiments religieux qu’il entendait faire respecter ? Dans ce climat là, la laïcité prend son sens véritable qui implique la considération des convictions d’un chacun. Je pensais à ce texte de Ferry en lisant hier un article du Monde consacré à l’attitude du Président et de son futur gouvernement à l’égard des musulmans. Certains de nos compatriotes musulmans se disent soulagés d’être désormais épargnés par des campagnes d’opinion qui les désignaient comme des gens dangereux. Ils se montrent aussi circonspects à l’égard d’une famille de pensée mal à l’aise avec la religion. François Hollande s’est hautement réclamé de la loi de séparation de 1905. Ce peut être justement un sujet d’inquiétude car une conception trop restrictive de la laïcité pourrait renforcer les défiances reprochées au camp adverse.
Alors, Jules Ferry serait-il un médiateur pertinent, un conseiller secourable ? Peut-être, mais les principes de neutralité ne suppléent pas sur ce terrain à une attitude prudentielle qui suppose un contact vrai avec la réalité, et notamment celle de l’islam d’aujourd’hui en France.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 15 mai 2012.
Pour aller plus loin :
- 3101-Sarkozy, l'Eglise, la laïcité
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- 3083 bis - Thibaudet, le radicalisme, les protestants...
- La République laïque et la prévention de l’enrôlement des jeunes par l’État islamique - sommes-nous démunis ? Plaidoyer pour une laïcité distincte