Il y a quelque temps, j’ai lu sur le site The Catholic Thing un article de Mary Eberstadt sur le bonheur et les enfants. Je me souviens qu’elle y mentionnait le fait que les enfants sonnent le glas de la gym et des apéros pour la bourgeoisie. J’ai sans doute lu l’article, fermé mon portable, suis allée à un cours de muscu, et ai ensuite retrouvé des amis pour l’apéro.
Je suis au crépuscule de ces jours-là.
Dans trois semaines, je dois donner naissance à une petite fille. Jeune femme, éprise de liberté, éprise de gym, éprise d’apéro, il m’est difficile de combattre l’angoisse, héritée de la culture, que « ma vie va être totalement terminée ».
Je voudrais dire qu’aujourd’hui, malgré des progrès stupéfiants en matière de santé, il n’y a jamais eu d’époque aussi terrifiante pour être enceinte et mettre au monde une nouvelle vie. Pourquoi ? Parce que les jeunes femmes comme moi vivent aujourd’hui dans une culture qui met la mère et l’enfant en opposition : la liberté de la mère face à l’enfant, le bonheur de la mère face à l’enfant, les ambitions de carrière de la mère face à l’enfant.
On considère la naissance comme une sorte de mort pour la femme actuelle, moderne, qui vit en ville et est préoccupée par son métier. C’est du moins la manière dont on a réussi à présenter les choses. La grossesse, c’est le crépuscule qui précède la nuit noire de la maternité.
Notre culture égocentrique considère l’enfant comme une menace pour soi-même. Notre culture préconise les relations sexuelles « protégées » … contre les bébés tyrans. Les techniques d’éducation des enfants, approuvées sur le plan social, pervertissent alors l’enfance « planifiée » et en font simplement pour les parents un autre moyen de se gratifier de la réussite de leur enfant, tout comme les produits Baby Einstein ou l’entrée à l’université.
L’enfance est devenue une occasion supplémentaire pour les parents de consommer, comme en témoignent les rayons pleins à craquer de magasins tels que BuyBuyBaby.
Et j’avouerai que je ne suis pas exempte et que je suis également tentée de transformer la future naissance de mon bébé en une occasion de consommer.
J’ai acheté la poussette Bob Revolution et elle est prête à servir, j’ai un siège auto Peg Prego qui attend, et dans ma liste pour bébé, un « moïse » Hoohobbers que je suis impatiente de me procurer.
Bla-bla-bla.
Mais revenons à mon propos. On retrouve ce propos dans une méditation de St. Josemaria Escrivá, sur laquelle je suis tombée récemment. Dans « Le Sillon », il écrit :
Par ton idéologie, tu es très catholique. L’atmosphère de la Résidence te plaît… mais dommage que la Messe ne soit pas à midi, et tes cours l’après-midi: tu pourrais étudier après le dîner, en savourant un ou deux verres de cognac! — Ton « catholicisme » ne répond pas à la vérité, il n’est qu’embourgeoisement.
— Ne comprends-tu pas qu’à ton âge, tu ne dois plus raisonner ainsi ? Sors de ta paresse, de ton égolâtrie…, et accommode-toi aux besoins des autres, à la réalité qui t’entoure; alors tu prendras le catholicisme au sérieux.1
Autrement dit : assume.
Il est fort probable qu’il écrivait ceci particulièrement pour des jeunes fréquentant l’université. Mais son message correspond très bien à une jeune cadre dynamique comme moi. La vie bourgeoise avec la gym, le supermarché Trader Joe, et l’apéritif est formidable. Mais tu es trop vieille pour demeurer si centrée sur toi. Et ta foi ira cahin-caha tant que tu succomberas à la vie facile.
Et ton bonheur va en souffrir également. Leon Kass a abordé ce sujet la semaine dernière dans une des causeries les plus agréables que j’ai jamais entendue, donnée au dîner annuel de l’American Enterprise Institute, ou on lui remettait une récompense, l’Irving Kristol Award 2.
Leon Kass a commencé par citer Irving Kristol 3, qui prévenait que « rien n’est plus déshumanisant, plus certain de provoquer une crise, que de percevoir sa vie comme un événement qui n’a pas de sens dans un monde qui n’a pas de sens. » Irving Kristol reconnaît que la société bourgeoise a créé une prospérité qui dépasse nos attentes les plus folles, mais a apporté avec elle une pauvreté spirituelle qui grève lourdement notre culture. Selon lui, « Être vraiment humain, c’est être humainement au travail et exercer pleinement notre humanité. » Il poursuit :
Nous, humains sommes au travail non seulement lorsque nous nous consacrons à notre profession. Mais nous sommes aussi profondément au travail dans les activités d’amour et d’amitié, et particulièrement lorsque nous sommes occupés concrètement par notre vie de famille, domaine de la vie privée que les Américains trouvent le plus significatif.
Voilà pour vous, Hilary Rosen 4, qui avez dit que Anne Romney, mère de six enfants, n’a jamais travaillé un seul jour de sa vie.
Et quel travail plus important humainement que de faire venir au monde une nouvelle vie ? Et de consacrer votre vie à aimer et prendre soin de cette vie-là.
Donc bien que Leon Kass soit juif non pratiquant, il se situe au cœur d’une croyance fort chrétienne : l’amour est notre travail quotidien. Et l’amour nécessite de partir à la conquête de notre redoutable « moi ». Ce moi dont on dit aujourd’hui qu’il est tellement menacé par les plus aimables des humains, les bébés nouveaux-nés.
Et s’il est vrai que les bébés compliquent les sorties apéros, ils nous fournissent le type de travail humain qui induit une euphorie avec laquelle aucun cocktail ne peut rivaliser.
J’accepte donc le défi de ce travail qui m’attend et rejette cette idée que ma vie est terminée.
Je suis prête à enfiler ma culotte de grande fille et à assumer. Une petite fille attend et ne demande qu’à vivre. Pour l’instant, je vais profiter du crépuscule. Ou mieux encore, de l’aube.
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Ashley E. McGuire est directrice de la rédaction de AltCatholicah.
Tableau : Mère et Enfant par Gari Melchers (1904)
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/big-girl-pants.html
- NDT : traduction : http://fr.escrivaworks.org/book/sillon-point-716.htm
- NDT: Cette récompense est remise à une personne qui a apporté une contribution intellectuelle ou pratique exceptionnelle permettant des améliorations sur le plan social ou politique.
- Irving Kristol (1920-2009) : journaliste, parrain du néo-conservatisme.
- NDT : Hilary Rosen, chargée de la stratégie pour le parti Démocrate avait déclaré sur CNN que Ann Romney, femme du candidat républicain, qui a élevé 5 garçons maintenant adultes, n’avait jamais travaillé de sa vie, ce qui a déclenché une vive polémique.
Pour aller plus loin :
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Jean-Paul Hyvernat
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies