Un peu de littérature dans la campagne présidentielle, voilà qui ne me déplaît nullement. Jean-Luc Mélenchon est, semble-t-il, un lecteur passionné de Victor Hugo et il n’a pas hésité l’autre jour à citer à la grande foule, qui vient l’entendre sur les places de nos villes, une page des Misérables. Cela nous a valu un article du Monde que j’ai particulièrement savouré, avec toute la discussion qu’il a provoqué sur le site internet du quotidien. Même si les invectives pleuvent drues entre admirateurs et détracteurs, au moins la littérature confère un peu de hauteur à des batailles, qui, autrement, ressembleraient à ce qu’on appelle, je ne sais pas trop pourquoi, des disputes de chiffonniers.
L’article du Monde qui est signé Pierre Assouline replace l’intervention de notre tribun dans l’actualité hugolienne. Il se trouve, en effet, que la postérité familiale du poète vient de se séparer de toute une partie de son legs, dont elle ne pouvait plus assumer, en quelque sorte, la maintenance. J’avoue que cela me touche, parce que le dernier dépositaire de ce legs s’appelait Jean Hugo, qui conservait tout cela dans son Mas de l’Hérault comme un trésor. Impossible désormais aux héritiers de poursuivre la tâche même dans l’indivision. Il y a plusieurs façon d’assumer la garde d’une mémoire et d’une œuvre. Jean-Luc Mélenchon assume très bien la sienne.
On peut certes juger que citer les Misérables aujourd’hui relève de l’anachronisme et que l’orateur révèle ainsi son côté chimérique et décalé par rapport à nos réalités de début de troisième millénaire. Et puis, le terrible Flaubert, cité dans la discussion du site du Monde, pourfendait son collègue Hugo, en démolissant impitoyablement le roman, indigne du siècle de Balzac et de Dickens, qui, à l’entendre, avaient compris avec infiniment plus de pénétration la réalité sociale de leur temps. Au moins, est-il loisible de discuter. Le candidat du Front de Gauche s’affirme de façon originale entre la gouaille de Gavroche et le prophétisme exalté de l’ermite de Guernesey. Aux électeurs de se déterminer pour savoir s’il est le sociologue pertinent dont nous avons besoin et le réformateur inspiré que le peuple entend. J’ai tout de même peur qu’une armée d’experts pointilleux n’apprécie guère cette poésie et nous ramène à une prose plus sensible à la musique des chiffres, ceux avec lesquels on mesure l’équation des programmes.
Chronique lue sur radio Notre-Dame le 10 avril 2012.
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