Le Pape Benoît XVI a employé le mot « aiguillon » pour définir la crise devant les diplomates en poste auprès du Saint-Siège. « Comment s’en sortir ? »i Avant de proposer des approches concrètes, Lacoste-Lareymondie a d’abord balisé le terrain en signalant deux écueils : le « vertige du désastre annoncé », un récif à trois versants… et la « tentation de l’éviction des peuples ». Le vertige du désastre a un « versant cynique », qui consiste à durer le plus possible en « colmatant les brèches pour ne rien changer, ou le moins possible » : c’est le fait d’une société sans enfants, qui « renie son histoire et sa culture » et se prive ainsi d’avenir ! Un versant dégoulinant d’une « morale punitive », celle des « vertueux » qui, ne voulant pas payer pour les autres, imposent des purges d’austérité aux pays malades, quitte à les en faire mourir, et à les abandonner. Une logique de « rétribution comptable » fermée à toute idée de solidarité à l’échelle d’une Europe d’où le mot « miséricorde » a été déraciné. Et un versant « prophétique » encore plus funeste, qui traduit le mot malheur par « châtiment », et qui voit dans les conséquences les plus extrêmes de ce malheur « le moyen du retour à la vertu ». Quitte à aggraver eux-mêmes la situation, les « justes », prophètes de la catastrophe, commettent une triple faute. Psychologique, car la dégringolade est plus facteur de révolte que de conversion… Politique, car la politique du pire fait « le jeu de l’Adversaire ». Et morale, car « vouloir un mal » ne peut qu’entraîner « une spirale infernale » vers un autre mal encore pire.
Le deuxième écueil repéré par Lacoste-Lareymondie est politique : c’est « la tentation de l’éviction des peuples », engendrée par une inaptitude devant la crise. Avec un aveuglement devant la réalité, « systématique depuis quatre ans », les dirigeants se sont enfermés dans « la primauté du court terme » : ils savent « gérer l’urgence », peuvent ébaucher des stratégies vers le long terme, mais… ils sont « muets et impotents sur le moyen terme », et donc incapables d’édifier ce type de passerelle !
Enfermés dans des « mécanismes européens » trop complexes où on décide « trop peu et trop tard », dans le « juridisme étroit » de traités fréquemment révisés, ou dans des processus électoraux inadéquats, les dirigeants sont de plus en plus tentés de… « remettre le pouvoir aux techniciens ». Cela dans une Europe dont certains rouages sont déjà confisqués par des instances incontrôlées et donc sans responsabilité politique… Alors, va-t-on « faire le bonheur des peuples sans eux, puis malgré eux, et enfin contre eux » ? « De la technocratie à la tyrannie » ?
Haut responsable de la Fédération bancaire française et de l’Association des marchés financiers, Pierre de Lauzun met le doigt sur des failles impressionnantes : « des prêts trop souvent octroyés n’importe comment par n’importe qui, des instruments illisibles ou trop compliqués, des notations peu fiables, un filtre insuffisant ». Son diagnostic : « On a péché, moralement, contre des exigences élémentaires de juste prix et de conseil ». Avec deux dérives : « Qui ne comprend pas la technique considérée a du mal à discerner ce qui est bien ou mal. Et qui ne respecte pas des règles morales ne peut être un bon professionnel sur la durée ». De surcroit, on a cédé à la « drogue dangereuse » de l’endettement aux « effets de levier » redoutables, derrière un sentiment de sécurité illusoire. Cela a été « le feu de paille d’une génération », dont les effets pèsent de façon injuste sur les générations suivantes, et cela jusque sur « la capacité de décision politique ». Enfin, le régime monétaire en vigueur depuis 1973, où « rien ne régule les décisions d’une banque centrale », a laissé gonfler des « bulles », notamment la bulle immobilière des Etats-Unis dans la dernière décennie.
Les orientations de Pierre de Lauzun sont claires : « Rapprocher rémunération et responsabilité », et éviter à l’avenir des prises de risque excessives, sachant que le maniement de fonds « implique une responsabilité morale personnelle envers la société », dans l’esprit de la « destination universelle des biens » souvent rappelée dans l’enseignement social de l’Eglise.
La tourmente globale reste une chance, affirme cet ancien marin qu’est François de Lacoste-Lareymondie : sans doute « pour la première fois dans l’histoire moderne, nous avons la possibilité de résoudre une crise majeure de façon ordonnée », sans attendre une révolution ou une guerre… et en se dépêchant ! La réforme morale évoquée par Benoît XVI est incontournable comme remède à long terme. Loin des belles paroles, elle consiste à changer les comportements.
Pierre de Lauzun appelle à la fois à éviter un refus absurde du rôle « essentiel » du marché et le danger d’« une idéologie socialement acceptée », qui oublie que le marché « ne sait pas réguler son propre fonctionnement », et qu’il faut donc « des règles du jeu et des arbitres ».
Comme Pierre de Lauzun, Lacoste-Lareymondie assure qu’il n’y a pas de réelle moralité sans compétence technique, pour les mesures à prendre. Il fixe alors quelques « lignes directrices » pour un assainissement des pratiques économiques et financières : cesser d’ « empiler les dettes publiques » une fois effectués les sauvetages d’urgence, pour ne pas « soigner le drogué par des doses de plus en plus fortes » ; ne pas voir un remède dans l’inflation, facteur d’appauvrissement ; opérer une régulation efficace des marchés et des banques, une responsabilisation avec des contrôles réels ; trouver un moyen terme viable « entre le trop d’austérité et le rien qui prévaut généralement » ; desserrer « les multiples freins malthusiens qui brident les initiatives », et rendre les économies « plus sobres en énergie et en matières premières ».
L’essayiste Damien Le Guay a souligné le danger de voir le « mur de la dette » provoquer une rupture de la transmission entre les générations en créant un obstacle trop difficile à franchir.
Quant à l’avenir, le vice-président de l’Association pour la Fondation de service politique a souhaité un retour vers une culture de vie, avec un « sursaut démographique » et « une refondation politique sur la famille ». Une reconstruction urgente devant un déséquilibre mondial périlleux, à l’heure où « l’échéance approche ». A bon entendeur salut !