La République et l'impensé de la race - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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La République et l’impensé de la race

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En voulant supprimer le mot « race » de la Constitution, le candidat Hollande a ouvert une boîte de Pandore.

Après les « Civilisations », voici les « Races ». Qui prétend que la campagne présidentielle française ne débat pas des fondamentaux de la vie en société ? Mais, comme souvent en France, le débat est purement intellectuel alors que, s’agissant de la Constitution, il est strictement juridique. Il s’agit de l’égalité devant la loi. Depuis la déclaration des droits de 1789, nul n’ignore que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Le législateur dit le droit non le fait. La constitution de 1946, reprise sur ce point en 1958, ne dit rien d’autre que ce dont disposent la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 ou la Charte européenne des droits. Dans tous les textes, figure expressément la non-discrimination fondée sur la « race ». La constitution française ne cite que trois fondements principaux d’inégalité: l’origine, la race et la religion. La déclaration universelle, que la France a bien entendu ratifiée, se livre à une énumération plus complète : « race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou toute autre opinion, origine nationale, sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». La Charte européenne, discutée dans les années 2000 dans le cadre des débats sur le traité constitutionnel, y ajoutait l’âge, le handicap et l’orientation sexuelle.

On peut également retenir les textes relatifs au génocide, terme introduit dans notre Code Pénal en 1992 et défini comme « tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire ».

Les races n’existent pas. On le sait pertinemment. Même Arthur de Gobineau, « à qui l’on attribue la paternité du racisme…(était) parfaitement conscient que les races n’étaient pas des phénomènes observables ; il les postulait seulement comme les conditions a priori de la diversité des cultures historiques qui lui semblait autrement inexplicable, tout en reconnaissant que les populations ayant donné naissance à ces cultures étaient issues de mélanges entre des groupes humains qui eux-mêmes avaient déjà résulté d’autres mélanges. Si donc on essaye de faire remonter les différences raciales aux origines, on s’interdit par là même d’en rien savoir et ce dont on débat n’est pas la diversité des races mais la diversité des cultures. » (Claude Lévi-Strauss, Race et Culture, 1971).

Donc outre la race, il faudrait également supprimer l’origine. Et j’ajouterai (par provocation, mais qui sait ?): pourquoi pas la religion ? Il s’agit en effet de trois catégories dites « mythiques » au sens des détracteurs du texte considéré comme historiquement daté et scientifiquement controuvé. S’il faut s’en tenir à des « phénomènes observables », il n’y a rien de plus « visible » que les caractéristiques physiques : la couleur, le sexe, ou genre, le handicap, pourquoi pas la taille ou le nez (dans le cas du génocide des Tutsi au Rwanda). En définitive, tout ce qui ressort des mythes fondateurs de l’(in)humanité se résume au final en quelques détails physiques « observables ». Le nazisme était un eugénisme justifiant l’extermination des handicapés, des homosexuels, des circoncis, contrairement à la chasse aux opposants politiques, aux résistants, qui ressortait, elle, d’une logique politique classique.

Dans un plaidoyer en faveur de la suppression du mot « race », Mme Caroline Fourest (« Le Monde » du 17 mars 2012) rappelle à juste titre qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, le mot race en Europe était connoté juif, alors qu’en Amérique il restait connoté noir. Dans ce cas, il signifiait la couleur, alors que dans le premier cas il se référait à une pseudo théorie scientifique sur la distinction des « aryens » et des « sémites ». Il faut pourtant ajouter que l’Europe fin XIXe siècle avait essayé de bâtir une théorie raciale du même genre pour les noirs avec le mythe « hamite » (Sem, Cham et Japhet étant les trois fils de Noé survivants du déluge). On veut bien faire crédit à Mme Fourest que lorsque les auteurs de la Constitution de 1946 introduisirent le mot race, ils n’aient eu en vue que l’extermination nazie et aient oublié les noirs. Or en l’occurrence, ils n’auraient fait que rejoindre les Américains qui attendront encore vingt ans pour reconnaître l’égalité des noirs devant la loi, mais où, après la guerre, s’affirma le rôle politique de la communauté juive considérée comme telle.
Cependant, elle a un point sur la distinction pratique à opérer entre racisme et antisémitisme. La confusion entre les deux acceptions du mot « race » est ce qui a conduit à l’impasse les conférences générales des Nations-Unies depuis celle de Durban (fin août-début septembre 2001).

Quitte à supprimer le mot race, afin de répudier le ou l’un des fondements de l’antisémitisme, il faudrait donc penser à introduire le mot « couleur ». La mesure bénéficierait certainement d’un bel effet d’annonce, mais que deviendraient les Juifs ? Peut-on revenir au Clermont-Tonnerre de la Révolution française : aux juifs, tous les droits comme individus, aucun comme « nation » ? C’est un peu vite dit. Ils ne sauraient certes se contenter de relever de la catégorie « origine », ce qui les assimilerait à des étrangers, des immigrés. Ne ressortiraient-ils plus dans ce cas que de la catégorie religieuse ? Ce serait un autre tollé. Ils ne sont certes pas une « race », mais seule cette hypothèse = qui n’est pas une thèse = permet de rendre compte de l’histoire du droit et de l’histoire tout court et de mettre hors la loi l’antisémitisme.

A tirer sur un fil, gardons-nous de détricoter toute la tapisserie. La Constitution ne confère pas un statut ou une reconnaissance juridique à la notion de race. Elle ne traite que par hypothèse. Elle ne prend pas parti sur le fond dans un débat scientifique. Pas plus qu’en refusant toute inégalité fondée sur la religion, elle ne prend parti sur la vérité d’une ou de toute religion. Elle refuse simplement d’en connaître. Elle affirme n’en rien savoir. On ne peut pas plus s’en prévaloir par rapport à la loi, ce qui n’est pas sans poser quelque problème pour une reconnaissance pleine et entière de la « liberté religieuse », que se voir discriminé ou incriminé parce que l’on est regardé comme tel par autrui. Ce n’est pas que ces notions soient ou non vraies mais que les hommes s’en réclament soit pour se déclarer supérieurs soit pour nier être inférieurs.

Race, origine, religion. Quelque part, les trois sont liés dans l’inconscient collectif des sociétés, parce que ces trois notions ne sont pas de nature mais sont historiques. C’est pourquoi il n’y a pas lieu ni d’ajouter ni de retrancher.

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PS. le titre est emprunté au philosophe d’origine camerounaise, Achille Mbembe, « la République et l’impensé de la race », in Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire,dir., « La fracture coloniale », éd. La découverte, 2005.