Les hommes politiques de droite candidats au poste suprême sont handicapés sur le plan rhétorique, et pas seulement parce que presse et audiovisuel sont dominés par la gauche. Notre vocabulaire culturel est imprégné d’affirmations de gauche. C’est pourquoi beaucoup d’entre nous qui approuvons pleinement les idées sociales et économiques de la droite reculons en entendant des politiciens de droite qui peinent à proposer des solutions conservatrices sans choquer (comme Mitt Romney) ou sans se soucier d’adopter des intonations de vainqueur (comme c’est le cas de Rick Santorum).
Les Américains aiment les combattants heureux, c’est pourquoi ils aimaient Ronald Reagan. Il savait ce en quoi il croyait, pourquoi il le croyait, et il voulait montrer le pourquoi de ses croyances. Mais il savait aussi porter son message avec un humour percutant et une touche d’auto-dérision. C’était un homme sérieux ne se prenant pas trop au sérieux. Ainsi donc, au contraire des candidats en lice (y-compris l’occupant actuel de la Maison Blanche) il employait rarement la première personne du singulier. Simplement, Reagan aimait l’Amérique plus que lui-même. Et çà se voyait.
Combattant heureux, Reagan savait avoir un discours conservateur en s’exprimant comme un progressiste. Il transmettait le message de la droite avec le langage de la liberté, du progrès, de l’espoir. Un exemple: ces quelques mots de son fameux discours prononcé en 1987 devant le mur de Berlin:
« Dans les années cinquante, Krouchtchev prédisait: « nous vous enterrerons tous ». Et à l’Ouest, maintenant, nous voyons un monde libre qui a atteint un niveau de propspérité et de bien-être jamais vu dans l’histoire de l’humanité. Dans le monde communiste, nous voyons l’échec, une technique arriérée, des normes de santé déclinantes, et même une pénurie de base — une alimentation insuffisante. Même de nos jours l’Union Soviétique ne peut satisfaire ses propres besoins alimentaires. À l’issue de ces quatre dernières décennies se dresse devant le monde entier une grande conclusion indéniable: la Liberté mène à la prospérité. La Liberté remplace les haines ancestrales entre nations par la courtoisie et la paix. Le vainqueur, c’est la Liberté.»
Plutôt que relever dans le détail le programme communiste — « progrès » incontournable vers une société sans classes — Reagan le rejetait simplement tout en bloc, proposant à la place ces vérités d’autrefois et de toujours sur le bien de l’homme, assise du véritable conservatisme — que Reagan savait bien profondément enracinées dans le cœur des victimes de l’oppression totalitaire.
Bien qu’ayant parmi tous les hommes politiques de droite le mieux réussi ces derniers temps, Reagan n’a pas suscité d’émulation chez les deux meneurs Républicains de la compétition. Romney, c’est certain, a toujours ce côté « ensoleillé », mais il n’est guère un combattant. D’autre part, Santorum est un vrai combattant, mais il n’est pas outillé d’un don d’orateur capable d’accrocher l’oreille des gens à convertir.
Quand Romney nous dit son opinion sur certaines questions politiques on a l’impression d’entendre un message interne de la Direction des ressources humaines dans une grande Entreprise. Soucieux de ne pas heurter, Romney n’inspire pas. Un exemple: en 2005 Romney a déclaré: « je suis « pro-vie ». Je crois que l’avortement est un mauvais choix, sauf dans les cas d’inceste, de viol, ou pour sauver la vie de la mère.»
Mais lorsqu’il traitait de l’avortement, Reagan était imprégné de la compréhension du principe d’égalité entre les hommes qu’il relevait parmi les principes de la Déclaration d’Indépendance et dans le discours d’Abraham Lincoln « Renaissance de la Liberté ». Reagan écrivait: « nous vivons une époque où certains n’accordent aucune valeur à la vie humaine. Ils veulent faire leur choix sur la valeur des individus.»
C’est ainsi que, pour Reagan, la question de l’avortement était: « oui ou non l’enfant à naître est-il un membre de la famille humaine? », et non pas: « oui ou non l’enfant à naître répond-il aux mêmes caractéristiques que les membres arrivés à maturité dans la famille?». Il poursuit: « certains prétendent que seuls les individus « conscients d’eux-mêmes » sont des êtres humains . . . . Visiblement, des gens influents veulent récuser le principe que toute vie humaine a sa valeur intrinsèque, sacrée. Puis ils insistent, soutenant qu’un membre de la race hhumaine doit répondre à certains critères avant qu’ils ne lui accordent le statut « d’être humain ».»
Le problème de Santorum est l’inverse de celui de Romney. Il énonce ses vues politiques avec une robuste conviction, mais bien fréquemment comme si son discours consistait à réciter les canons du Concile de Trente. Dans une déclaration à « ABC’s This Week » [Site de la chaîne télé « ABC »] Santorum disait: « je ne crois pas en une Amérique où la séparation de l’Église et de l’État serait absolue. L’idée que l’Église ne puisse avoir aucune influence ni s’impliquer dans la conduite de l’État s’oppose absolument aux objectifs et à la vision de notre pays.»
Reagan n’éprouvait aucun besoin d’être provocant en rejetant la séparation de l’Église et de l’État pour défendre le principe de liberté religieuse. Car pour Reagan, comme pour les « Pères Fondateurs » la séparation entraîne la liberté: « Principe unique chez les Américains, un mur érigé dans notre Constitution sépare l’Église et l’État. Il garantit qu’il n’y aura jamais de religion d’état dans ce pays, et en même temps donne à chaque Américain la garantie qu’il est libre de choisir et pratiquer selon ses croyances religieuses, ou bien de ne pratiquer aucune religion.»
C’est pourquoi il pouvait dire que « le Premier Amendement n’a pas été rédigé pour protéger les citoyens et leurs lois des valeurs religieuses; il a été rédigé pour protéger ces valeurs de la tyrannie du gouvernement.» Au lieu de sembler renier un principe Américain fondamental, comme l’a fait maladroitement Santorum dans sa déclaration à « ABC’s This Week », Reagan expliquait pourquoi on appelait ce principe « La première Liberté ».
On n’aura plus jamais un Reagan. Mais les candidats qui négligent d’étudier sa façon d’exprimer son message conservateur avec un langage progressiste le font à leurs risques et périls.
Francis J. Beckwith