L'Évangile et la pluralité des engagements - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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L’Évangile et la pluralité des engagements

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Que les chrétiens ne se retrouvent pas sur la même ligne politique, qui s’en étonnerait ? Il y a dès ici-bas plusieurs demeures dans la maison du Père et les différences de sensibilité s’expliquent par la complexité des enjeux temporels. Depuis la rupture de la Révolution française au moins, le catholicisme hexagonal s’est trouvé divisé en plusieurs familles qui n’appréciaient pas les événements et les courants idéologiques avec les mêmes critères. Il faudrait pouvoir envisager les conflits successifs qui se sont produits jusqu’à la fin du XXe siècle, ne serait-ce que pour comprendre les débats entre chrétiens d’aujourd’hui. Les uns et les autres ont toujours voulu être en cohérence avec leurs convictions et les conseils évangéliques. Cela ne les a pas empêchés de s’opposer avec quelque virulence à propos de la République et de sa tradition laïciste, du socialisme et du communisme, de la décolonisation, etc. Dans la conjoncture présente, les choix se font en fonction de valeurs et d’objectifs privilégiés. Ainsi y a-t-il des chrétiens libéraux en économie et d’autres très antilibéraux. D’autres se déterminent en fonction de choix anthropologiques comme la famille, la différence sexuelle, le respect de la vie depuis la conception jusqu’à la mort. On ne peut compter pour négligeables les oppositions qui concernent la question de l’immigration et de la gestion des flux de population. Sans oublier que la montée en puissance du Front national, avec Marine Le Pen, a accentué d’autres clivages. Pour certains, il n’y a aucun doute. Le principal danger couru par la France tient aujourd’hui dans l’affirmation d’une extrême droite qui a trouvé dans la fille de Jean-Marie Le Pen un leader d’autant plus redoutable qu’elle masque derrière un langage modernisé les mêmes orientations xénophobes. Elle est aussi portée par un courant populiste qui a gagné tout l’espace européen. Étienne Pinte, député des Yvelines et Mgr Jacques Turcq, du diocèse de Nanterre, viennent de publier un petit essai à ce propos (Extrême droite. Pourquoi les chrétiens ne peuvent pas se taire, éditions de l’Atelier), qui concentre tout un argumentaire implacable contre le Front national. Au nom de l’Évangile, c’est un non possumus qui se trouve asséné et qui semble ne pas souffrir la contradiction. On accordera à nos deux auteurs leur authenticité chrétienne. Mais on leur opposera aussi quelques objections. En désignant un unique adversaire ne se sont-ils pas mis en situation absolutiste ? Le danger qu’ils décrivent est-il vraiment l’unique danger ? En ciblant un adversaire privilégié, n’ont-ils pas sous-estimé d’autres tendances, d’autres dérives qui mériteraient un sérieux examen ? On leur reconnaîtra sans doute d’avoir échappé à la tentation de la reductio ad hitlerum dénoncée jadis par Leo Strauss. Mais on leur opposera aussi une propension à l’optimisme béat. Le sens de l’histoire nous conduirait donc à un univers idyllique, sinon celui des Bisounours, du moins celui de la « mondialisation heureuse », pour parler comme Alain Minc. Sans compter que les mots prononcés ne sont pas innocents, lorsqu’ils veulent énoncer le modèle alternatif à celui du populisme maudit. « Que ce soit une alliance avec les autres pays européens et avec les pays émergents ou encore avec les pays qui vivent dans la pauvreté, la raison nous conduit à consentir au grand métissage de notre société et l’interdépendance entre nous. » Pierre-André Taguieff a montré depuis longtemps comment l’anti-racisme se précipitait dans des impasses symétriques au racisme qu’il voulait combattre. Le mot métissage est terriblement équivoque car il demeure dans le registre racialiste en prétendant trouver une solution aux affrontements ethniques. Plus généralement, le redoutable polémiste qu’est Éric Zemmour oppose à ce type de bien-pensance l’axiome pascalien : « Qui veut faire l’ange, fait la bête. » Nous tomberions nous-mêmes très vite dans les excès que nous dénonçons, car il y a des arguments sérieux dans l’essai de nos deux « croisés ». Ils doivent être pris en compte dans le cadre de l’immense débat que la campagne présidentielle n’épuisera pas. Les chrétiens « de gauche » existent toujours en dépit des coups sévères que leur a portés la crise post-concilliaire. Ils doivent être entendus dans un climat, que l’on souhaite fraternel, par ceux qui développent d’autres analyses et sont attentifs à d’autres paramètres des conjonctures nationales et internationales. Dans un registre voisin, il y aurait lieu d’examiner les propositions présentées par Témoignage Chrétien et le Mouvement du christianisme social qui opposent un « christianisme de partage » à une attitude de « croisade ». On y trouvera d’authentiques propositions évangéliques auxquelles se heurtent malgré tout quelques réalités tenaces d’un monde impitoyable. En conclusion, on aura tout intérêt à consulter attentivement les recommandations de l’épiscopat français et l’ouvrage substantiel de Mgr André Vingt-Trois (Quelle société voulons-nous ? Pocket), car se situant au-dessus de la mêlée, nos évêques ont le mérite de n’ignorer aucune des dimensions éthiques de la compétition présidentielle. G.L.

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