On sait qu’une simple petite phrase peut mettre le feu aux poudres dans la campagne présidentielle. Claude Guéant en a fait la preuve avec son raccourci sur les civilisations. Beaucoup sont persuadés que le ministre de l’Intérieur se trouve en quelque sorte préposé aux provocations dans le but de rallier une partie de l’électorat plus sensibilisée à une certaine thématique. Ils en veulent pour preuve que le ministre est un récidiviste en ce domaine et qu’à chaque fois il provoque une véritable explosion médiatique, l’indignation des uns répondant aux justifications empressées des autres. C’est bien possible, cela fait partie de la règle du jeu, même si à un certain degré ce jeu peut être dangereux. Dangereux, s’il provoque l’exacerbation des passions qui ne sont pas forcément bonnes conseillères.
Mais dans le cas précis de la controverse autour de l’idée de civilisation, je constate que la gravité et la complexité du sujet ont amené pas mal de gens à rouvrir leurs dictionnaires. Qu’est-ce que la civilisation ? S’oppose-t-elle à la barbarie ? Qu’en est-il de la pluralité de fait des civilisations ? Quelle distinction opérer entre civilisation et culture ? Claude Lévi-Strauss est souvent appelé à la rescousse, à cause d’une forte intéressante conférence prononcée à l’UNESCO. Mais on constate alors que si la réflexion s’approfondit, les désaccords peuvent aussi se creuser. Ainsi, le Figaro en donnant la parole au philosophe Jean-François Mattei nous offre une sorte d’expertise qui aboutit à des conclusions très différentes de celles de Françoise Héritier, professeur émérite au Collège de France, que le Monde a interrogée sur le même sujet. C’est sans doute que la compétence intellectuelle ne suffit pas à trancher les désaccords. Le philosophe et l’ethnologue ne partagent pas les mêmes convictions, n’ont pas les mêmes choix politiques. Ils peuvent faire, l’un et l’autre, assaut d’érudition. Ils ne peuvent s’accorder. Le philosophe approuve Claude Guéant, l’ethnologue l’admoneste sévèrement. Faut-il parler aussi à leur propos du relativisme des opinions ? Peut-être pas, car à l’analyse, il ressort finalement que la complexité des choses et l’opposition des visions du monde attisent les désaccords. Pourvu que ce soient de bons désaccords, fondés non sur des équivoques mais sur des différends reconnus !