Dans un article précédent, je proposais un exercice mental mettant en scène un lycéen à qui un ami a parlé d’une enseignante dont il se croyait détesté et qui avait pris sa défense devant le proviseur contre l’avis des autres professeurs plaidant pour son exclusion du lycée. Que signifierait « croire » ou « accepter comme vrai » dans cette histoire ?
Le lycéen devait d’abord croire qu’un tel évènement authentique s’était passé. Il devait aussi croire qu’elle avait agi pour son bien, et non pas simplement pour le conserver sous sa coupe et continuer ainsi à le harceler pendant les cours. Enfin, notre lycéen devait accepter cet acte de charité de façon à adopter un changement de comportement.
Et on pourrait croire que cette intervention a bien eu lieu, inspirée par la charité, mais n’a pas eu d’effet sur son comportement.
Dans le même ordre d’idée, le christianisme ne signifie pas seulement que le Christ a été crucifié pour nous, mais aussi qu’Il a offert sa vie librement en un acte d’amour infini (pas seulement pour accentuer notre sentiment de culpabilité), et donc qu’on accepte cette vérité de façon à nous changer jusqu’au fond du cœur. Une foi qui ne serait pas née dans l’amour et ne porterait pas de fruit dans l’amour serait une foi vide de sens.
Remarquez cependant que dans le cas de ce lycéen, qu »il refuse de croire ou d’accepter ce qu’a fait pour lui son professeur ne la pousserait pas à cesser de s’intéresser à lui. La question est qu’en refusant de croire à cette affaire il se prive du bénéfice que lui apporteraient le soin et le souci de l’enseignante.
Qui a repoussé qui, en l’occurence? Le professeur intercédant pour le lycéen, ou le lycéen qui n’a pas voulu y croire ?
De même, « être incroyant » quand il s’agit de Dieu n’entraîne pas notre rejet par Dieu. « Être incroyant » serait plutôt — particulièrement s’il s’agit d’amour et de pardon — la manière dont nous Le rejetons. Il continue à nous aimer et à nous pardonner. C’est nous qui n’y croyons pas.
Traitant de la foi, je crains que nous changions cette puissante vertu qui bouleverse la vie (vertu comparable au courage, à la justice, à l’amour) en une liste intellectuelle d’actions vitales [NDT: « actions vitales » = opérations de sécurité précédant la manœuvre de l’avion, expression chassée par le franglais « checklist »]. La question est alors non pas de savoir si j’ai le cœur endurci mais si je tiens ou non la bonne « liste ». Plût au Ciel que vous n’ayez pas dans votre liste un article différent de son homologue dans ma liste, ou un article de plus que ce qui figurait au quatrième siècle (ou au troisième, ou au deuxième siècle, ou après le Concile de Trente — à votre choix).
Et bien sûr, l’idée jaillit: si votre liste n’est pas la bonne, alors vous ne pouvez être un bon chrétien (un bon catholique), et vous irez — eh! oui! — en enfer, comme si Dieu vous soumettait un questionnaire à réponses multiples en théologie, examen d’entrée au paradis. Peut-on imaginer St. Pierre examinant le C.V. d’un candidat: « et votre enfant, M. Untel, est-il baptisé? Oui ou non? Oh! désolé pour vous.»
Que s’est-il passé? Comment cette grande vertu qu’est la « Foi » — vertu que les Pères primitifs et les Docteurs médiévaux de l’Église célébraient comme élevant l’esprit et le cœur — n’est-elle plus que la question d’avoir la bonne liste? C’est toujours le danger — les humains sont épris de formalisme: la vie spirituelle en est bien facilitée.
À mon avis, ce problème est né au dix-septième siècle lorsque les domaines de la « Foi » et de la « Raison » rétrécirent spectaculairement. Descartes et ses disciples insistaient, selon eux la « Raison » ne concernait que des sujets d’une certitude mathématiquement inattaquable. La raison devait être fondée sur ce qui ne pouvait absolument être susceptible de doute.
Pour les premiers Pères de l’Église foi et doute pouvaient bien coexister, tout comme un homme peut être certain d’aimer femme et enfant, et puis déraper un jour. À partir de Descartes, plus de question. Si la foi devait être une forme de connaissance (ce qu’elle est), elle devait être fondée sur une certitude inattaquable, inébranlable.
À dire vrai, non seulement c’est attendre beaucoup de la foi, mais tout autant de n’importe quelle forme de connaissance. Croyez-vous que votre mère vous aime? Sûr et certain? Pouvez-vous en faire la démonstration avec une rigueur scientifique, une précision mathématique? Pas certain!
Le domaine de la « raison » se rétrécissant, la « foi » — qui pour St. Thomas d’Aquin avait été cette grande vertu de l’intellect — fut peu à peu considérée comme échappant à l’intellect pour se concentrer dans la volonté. Vous acceptez ces éléments, vous n’y réfléchissez pas.
En même temps, les divisions entre chrétiens accentuèrent l’importance des différentes « croyances »: les « listes ». Ne pas adhérer à la « bonne » liste marquait la différence d’appartenance — non seulement sur les questions fondamentales, sur le Christ, la Trinité, mais avec autant de zèle sur tous les sujets, importants ou mineurs.(Oh! grand Dieu! vous, vous baptisez les nouveaux-nés?). Quant aux « exclus », on n’a même pas envie de songer à leur destination. On ne peut penser moins qu’une destinée cosmique pour celui qui détient sa propre liste.
Loin de moi l’idée de rejeter l’importance de la doctrine, précisément parce qu’elle permet de distinguer le genre de choses auxquelles on adhère. Il vous faut croire en quelque chose ou croire en quelqu’un. Nous sommes des créatures douées à la fois de volonté et d’esprit. Dieu nous donne à la fois les connaissances pour l’esprit et la force pour la volonté. La foi est une réponse à l’appel Divin, une réponse rendue possible par la grâce et par l’amour de Dieu.
Mais l’appel reçu ne consiste pas en six, dix, ou dix-huit propositions intellectuelles. L’appel reçu nous invite à changer nos cœurs et nos vies. La foi qui n’est pas issue de l’amour, qui ne porte pas le fruit de l’amour, est vide de sens.
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Illustration : Saints et Docteurs de l’Église (anonyme français, XVème siècle)
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/faith-isnt-a-checklist.html
Pour aller plus loin :
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.
- Jean-Paul Hyvernat