L’information est tombée ces derniers jours : le premier prix Mychkine a été attribué à Stéphane Hessel ainsi qu’à deux autres lauréats, Martin Balluch philosophe autrichien, militant pour le droit des animaux et le psychiatre italien Gaetano Benedetti. Il s’agit d’une première, puisque ce prix vient d’être fondé, nous précise-t-on, afin de « récompenser dans le domaine de la création, des réalisations dont les auteurs se sont distingués par leurs contributions exemplaires à l’instauration d’un climat de générosité ». Ma foi, pourquoi pas ? On n’insistera jamais assez sur les vertus de la générosité dans ce monde difficile, tenté par l’égoïsme. Que par ailleurs Stéphane Hessel ait été distingué à cette occasion constitue un signe des temps, à l’heure où son étrange best-seller Indignez vous ! inspire des manifestations contre la dureté de la crise et l’incohérence de notre système économique.
Mais c’est le titre du prix qui m’a fait sursauter. Mychkine, ce personnage de Dostoïevski dans son roman l’Idiot ! J’ai été d’autant plus surpris qu’aucune explication n’ été donnée sur ce choix de nature littéraire et bien sûr symbolique. Du même coup, je me suis aperçu que Google, notre merveilleux dispositif de recherche sur ordinateur, n’apportait strictement aucune information sur le Prince Mychkine qui se trouve ainsi propulsé dans les médias à la manière d’un OVNI venu d’une planète inconnue1. Seuls les fervents de l’œuvre de Dostoïevski ont pu s’y reconnaître en s’interrogeant sur le sens véritable de cette promotion.
En deux mots, Mychkine est un très étrange personnage, où le romancier a mis beaucoup de lui-même, notamment avec la projection de sa propre pathologie épileptique. Il se distingue aussi par sa générosité, son humilité, et pour tout dire sa ressemblance christique. Mais avec quelque chose de raté, de sublimement raté. Car selon l’expression d’un bon connaisseur du romancier russe : « L’Idiot est un échec aussi immense que la beauté et le génie qui s’y déploient ; et les Possédés en sont l’accomplissement prophétique » (Pierre Boutang). J’en resterai là. Qu’ont voulu nous transmettre les fondateurs du prix Mychkine en nous renvoyant à cette figure qui esquisse celle du Christ, en manquant pathétiquement son but ?