L’un s’appelait Karol, l’autre Jerzy. Ils étaient camarades d’école et de jeu. Ils jouaient dans la même équipe de football. On les appelait familièrement Lolek et Jurek. Leur amitié scellée dès le plus jeune âge devait durer jusqu’à la fin de leur vie. Et pourtant les drames de l’histoire feraient qu’une très longue parenthèse les éloignerait l’un de l’autre. Entre temps, il y avait eu la guerre qui s’était abattue sur la Pologne avec l’invasion des troupes de Staline et des troupes d’Hitler. Jurek allait perdre la plus grande partie de sa famille dans la tragédie de la Shoah. Après une série de rebondissements, il terminerait la guerre auprès des alliés et s’installerait à Rome, ne voulant plus revenir sur la terre où les siens avaient été assassinés.
En 1962, s’ouvre le Concile Vatican II, et parmi les évêques polonais convoqués à Rome, il y a le jeune évêque auxiliaire de Cracovie, son ami Lolek. Ce sont des retrouvailles émues des deux anciens camarades de Wadowice. Seize ans plus tard, le destin les rapprochera encore, car Lolek, sous le nom de Jean-Paul II, sera devenu successeur de Saint Pierre.
Jerzy aura survécu à son ami Karol de quelques années, puisqu’il vient de mourir dans la ville éternelle. C’était le 31 décembre dernier, et nous apprenons la nouvelle un mois après. Vraiment, il aurait été dommage que l’événement n’ait pas été rendu public, car celui qui sera pour toujours « l’ami juif de Jean-Paul II » mérite d’être associé à sa mémoire historique. Il y a d’abord cette origine polonaise, cette petite ville où la communauté juive – le père de Jurek en était le chef – constituait le quart de la population et qui va se trouver effacée de la carte. Comment le futur Jean-Paul II n’aurait pas été marqué par le destin du peuple juif ? On comprend que, par la suite, il ait constamment associé son ami Jerzy Kluger au rapprochement du Saint Siège avec l’État d’Israël. Quand, en l’an 2000, il accomplira son grand voyage en Terre Sainte, Jerzy sera présent à ses côtés dans le haut lieu de Yad Vashem. Plus tôt, en avril 1989 le pape avait demandé à son ami de le représenter à Wadowice à une cérémonie de commémoration pour rappeler la destruction de la synagogue de la ville. Les mots me manquent pour signifier la force et la beauté de cette amitié, qui a contribué à changer complètement les relations de l’Église et du judaïsme. Impossible désormais de dissocier les deux garçons de Wadowice dans notre mémoire.