"Le Point", Franz-Olivier Gisbert et Dieu - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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« Le Point », Franz-Olivier Gisbert et Dieu

Ce n'est pas une première. Régulièrement, nos hebdos de référence mettent Dieu et le religieux à la Une. C'est qu'il y a un public pour cela. D'ailleurs, ce serait à désespérer de nos semblables si les questions qui touchent à l'essentiel suscitaient l'indifférence. « Le Point », au passage d'une année à l'autre, rejoint une solide tradition. Connaissant Franz-Olivier Giesbert, son directeur de la rédaction, je ne puis être étonné de son initiative, d'autant qu'on annonce son prochain livre chez Gallimard sous le titre « Dieu, ma mère et moi ». Si je me fie au propos liminaire du dossier, il faut s'attendre à un genre de confession qui relève peut-être plus de Rousseau que de saint Augustin. Mais j'aurais tort d'anticiper. Je suis juste un peu inquiet d'apprendre sous sa plume que Dieu relèverait d'un domaine, celui de la foi « où nous demeurons libres d'inventer notre propre vérité ». Attention, pourtant, le soupçon d'égotisme mâtiné de bricolage religieux ne saurait dénier la légitimité de l'expérience personnelle. Il est incontestable que notre expérience de Dieu nous appartient en propre, que nous tissons avec lui des liens purement personnels, qui n'appartiennent pas aux autres, même s'ils peuvent s'y retrouver, comme dans une histoire d'amour.
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Ecouter d’abord l’émission Grand Témoin sur Radio Notre-Dame, le 17 janvier 2011 avec Franz-Olivier Giesbert.

http://www.radionotredame.net/rnd_player_plus.php?date=2012-01-17&url=http://notredameradio.s3.amazonaws.com/legrandtemoin_20120117.mp3&title=Le%20Grand%20T%C3%A9moin

C’est Joseph Ratzinger qui affirmait un jour qu’il y a autant d’approches de Dieu que d’individus en ce monde. Mais c’est le même qui mettait en garde contre l’exclusivisme du sentiment, citant Goethe dans Faust : « Le sentiment est tout. » Le christianisme s’est toujours voulu porteur d’une vérité qui surplombait les sentiments, mais qui avait à être intériorisée par chacun. Ce pourrait être une définition de la relation des hommes à Dieu : radicale altérité du Tout-Autre, mais en même temps expérience intime d’un Dieu présent au plus intime de nous-même. C’est déjà toute l’histoire du peuple de la Bible. Dieu est arraché à toutes les représentations idolâtriques pour être reconnu dans sa radicale transcendance, mais il est en même temps celui qui se révèle dans une histoire unique à ceux qu’il initie tout autant au secret de la prière des psaumes.

Mais pour en revenir au dossier du Point, il convient de se féliciter qu’une rédaction veuille faire réfléchir son lectorat avec des choses qui comptent, qui pèsent lourd à l’aune de l’intelligence et de la culture. On peut toujours discuter des choix opérés, contredire les opinions de l’un ou de l’autre, s’insurger même contre certaines perspectives que l’on juge plutôt arbitraires. Il n’en reste pas moins que ça résiste, que ça fait réfléchir et que ça contraint même à se mettre soi-même en question. En ce qui me concerne personnellement, je m’interroge sur la façon dont j’aurais pu intervenir si j’avais été sollicité par Le Point. N’aurais-je pas été sommé de sortir de moi-même pour énoncer en discours intelligible la foi qui m’habite et me conduit chaque jour à appeler Dieu du nom de Père ? C’est une réelle difficulté qui est peut-être sous-jacente à l’idée même de Nouvelle Évangélisation. Comment rendre compte d’une expérience intime à ceux qui en sont les plus éloignés tout simplement parce qu’ils n’ont pas reçu le christianisme comme donnée patrimoniale première ? Ne sommes-nous pas ramenés à la nécessité d’une apologétique générale dont Le Point, d’ailleurs, dessine assez bien les grandes lignes d’élucidation.

On parlait autrefois de « préambules de la foi », c’est-à-dire des certitudes rationnelles sans lesquelles l’acte de foi paraît se lancer, en quelque sorte, dans le vide. Le premier de ces préambules concerne évidemment l’existence de Dieu. Peut-on établir, par les voies de la raison, l’existence d’un être auquel est suspendu tout autre mode d’existence ? Si la nécessité de cet être absolu n’est pas avérée, on ne voit pas la possibilité de croire en une révélation qui nous parlerait d’un être improbable. On se heurte ici à une difficulté considérable, qui est le défaut de réflexion métaphysique, notamment en cosmologie. Et pourtant, nous y sommes sans cesse appelés, ne serait-ce que par les livres publiés régulièrement par les scientifiques. Livres contradictoires à propos de l’intelligence perceptible dans la construction de l’univers. Il y a quarante ans, éclatait l’affirmation sans appel de Jacques Monod, le prix Nobel : « Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue mais aveugle, à la racine même du prodige de l’évolution, cette notion centrale de la biologie moderne n’est plus aujourd’hui une hypothèse parmi d’autres possibles ou au moins concevables. Elle est la seule concevable, comme seule compatible avec les faits d’observation et d’expérience. » (Le hasard et la nécessité, 1970). Je ne suis pas sûr que cette notion de hasard comme clé absolue de l’univers soit reçue par beaucoup de scientifiques, même ceux qui se veulent athées. Le Point va, d’ailleurs, très fort en sens contraire de Monod, en sollicitant du côté scientifique ce qui conforte l’idée d’une intelligence suprême rendant compte de l’intelligibilité de l’univers. On n’en est pas moins gêné par le sentiment d’un Dieu rouage de sa propre création, dont la nécessité serait requise par une défaillance de cohérence cosmique. De ce point de vue, la réplique d’un Stephen Hawking ne me surprend pas. Dieu ne fait pas partie du mécano scientifique.

Si les savants se risquent à des considérations philosophiques, ils se hissent à un autre degré, celui d’une réflexion seconde qui examine les tableaux proposés par la science en les surplombant et en franchissant un seuil épistémologique. J’en suis bien d’accord avec Jean-Pierre Luminet, directeur de recherche au laboratoire Univers et Théories de l’Observatoire Paris-Meudon : « Dieu et la science ne jouent pas sur le même terrain. Il n’y a donc pas à les opposer ni à les unir. On ne peut faire de raisonnement scientifique sur Dieu, encore moins d’expérience de recherche pour le détecter. »

Néanmoins, il y a un réel problème philosophique, car il apparaît que le terrain cosmologique a été pratiquement abandonné par les philosophes de métier, qui l’ont laissé aux scientifiques à leurs risques et périls. C’est, du coup, un canton essentiel de la métaphysique qui a disparu de la carte. Pour plaisanter, je dirais que le grand Aristote en serait fort mécontent. Il faut remonter, en effet, aux ouvrages de Claude Tresmontant, singulièrement à Comment se pose aujourd’hui le problème de l’existence de Dieu (Seuil, 1966 – réédition 2002) pour trouver un philosophe qui se soit attaqué directement à la difficulté, en reprenant la tradition aristotélicienne, rajeunie par toutes les informations prises dans la recherche scientifique contemporaine. Notre ami Brunor est dans la lignée de Tresmontant que Maritain avait reconnu en son temps. Une pléiade de jeunes disciples ardents diffusent en ce moment le message sur Facebook, reprenant les intuitions majeures du maître.

Vox clamans in deserto ? On verra bien ! Ce qu’il faut constater provisoirement, c’est une désertion massive du terrain, au moins du côté catholique, qui me semble s’expliquer par la terreur que provoque le prêche fondamentaliste sur le « dessein intelligent ». Nous sommes très loin des années cinquante et soixante, où le teilhardisme triomphant faisait retentir un discours très cohérent sur l’intelligibilité de l’univers en rapport avec une grande vision théologique inspirée de Saint Paul. C’est bien dommage. La promesse d’une confrontation fructueuse de la science et de la foi se trouve bloquée par des interdits que l’on croit rationnels mais qui sont le plus souvent idéologiques. Le dossier du Point a le mérite de montrer que ces interdits n’impressionnent pas également tous les secteurs de la recherche. Beaucoup se trouvent dans une position moyenne, celle de Trinh Xuan Thuan : « La science ne peut pas trancher entre le hasard et la nécessité. » Peut-être verra-t-on renaître quelque jour une philosophie de la nature à partir du matériau impressionnant de la découverte du monde sous tous ses aspects. Mais ce ne serait encore qu’un préambule. Car le premier moteur immobile d’Aristote est très loin de nous donner un reflet du Dieu vivant et vrai de la Révélation biblique. C’est vrai qu’il y a un saut à accomplir, un saut auquel Pascal était infiniment sensible, et peut-être plus encore ce Kierkegaard vers lequel convergent tant de regards en notre temps.

Curieusement, Charles Maurras, qui se voulait pourtant très loin de l’un et de l’autre, s’en montrait étonnamment proche au cœur de sa propre recherche spirituelle. Lorsqu’il avoue dans sa poésie que « les grandes lois de l’Être font, immobiles dans leur lumière, un silence qui me confond », c’est pour mieux exprimer toute sa nostalgie de ne pouvoir implorer « la charité d’un Dieu vivant ». Il faut bien reconnaître que le Dieu des philosophes et des savants ne donne pas directement accès au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et à Jésus de Nazareth… D’où la tentation de barrer toute voie métaphysique pour mieux provoquer le grand saut de la foi. Gabriel Marcel notait que les preuves de l’existence de Dieu n’avaient jamais convaincu personne, au moins en ce sens qu’elles demeuraient extérieures à la personne que seul le mystère peut toucher intérieurement.

D’où l’importance de Sören Kierkegaard qui s’est trouvé à distance de toute philosophie de l’être, à cause de son luthéranisme mais aussi de son opposition frontale à l’hégélianisme, orgueil suprême de la raison. Ce qui compte pour le penseur danois, c’est le saut de la foi, qui se distingue de la spéculation philosophique parce qu’il opère une rupture radicale et parce qu’il suppose une identification christique qui passe par le paradoxe de la croix. C’est donc sans aucun doute une grande chance que beaucoup s’intéressent à nouveau à Kierkegaard : Sylviane Agacinski, Michel Onfray et même Judith Butler qui fut à l’origine de la théorie du gender ! Certes, s’intéresser à celui qu’Onfray appelle « le penseur de la possibilité de l’action, le philosophe de l’art de vivre » n’est pas forcément parvenir jusqu’au paradoxe de la foi. Ce n’en est pas moins une démarche significative.

Pour le reste, le dossier du Point consiste en un puzzle où chacun retrouve, comme il l’entend, ses petits. Un foisonnement entre impressionnismes divers et jugements tranchés contradictoires. C’est la loi du genre, en rapport avec l’éclatement décrit souvent par les sociologues à l’aune du souci de soi. Bien difficile de maîtriser cette matière en fusion. J’aurais envie d’opérer quelques mises au point à propos de sujets d’importance, mais il y faudrait des pages et des pages. Deux exemples : « Monothéisme rime avec exclusion. » Le même monothéisme serait « trahi par des institutions censées le servir et qui rendent parfois son message inaudible ». Ce genre de jugement sans appel correspond bien souvent aux préjugés du temps. Si l’on veut les contredire, on s’engage dans de longues explications souvent mal supportées comme tout ce qui s’oppose à l’esprit en cours, d’ailleurs jamais en peine de contradictions. L’individualisme contemporain est solidaire du cocooning d’une société-providence, il a peu à voir avec l’anarchisme d’un Proudhon ou d’un George Orwell, dont les indignations avaient une autre force que celle de nos bobos parisiens. Tout cela pour dire que je m’inscris en faux contre lesdits jugements. Pour se faire une idée moins sommaire du statut de la violence dans la Bible, il ne suffit pas de mettre en exergue quelques passages particulièrement rudes, il faut prendre le temps d’une étude de fond qui mette l’ensemble du parcours biblique en perspective. C’est ce qu’a fait ce proche de René Girard qu’était le théologien Raymond Schwager qui démontre au contraire qu’il y a chez les auteurs de l’Ancien Testament un discernement progressif qui aboutit à la dissociation de la violence et du sacré, un sacré lui-même bouleversé par la révélation du Dieu unique.

Quant à la tarte à la crème anti-institutionnelle, elle fait bon marché de l’impressionnante faculté de l’institution ecclésiale à susciter de siècles en siècles de nouvelles éclosions spirituelles, non pas dans le déni de la continuité mais dans la découverte de sa fécondité toujours renaissante. Ce ne sont pas là des vérités qui s’assènent, elles réclament de longues réflexions fondées sur une patiente étude des documents historiques. Mais cela suppose aussi que l’on prenne ses distances avec les idéologies du moment. Quand je songe à l’emprise que le marxisme a pu avoir sur plusieurs générations et ce qu’il en reste ! « Dieu est mort, Marx est mort, et moi-même je ne me sens pas très bien », plaisante un Woody Allen posant en rescapé de l’aliénation idéologique du siècle dernier. Les modes passent à une vitesse déconcertante. Il est parfois très difficile de percevoir ce qui mérite de durer au travers de tant de systèmes qui se sont voulus à la fois révolutionnaires et définitifs.

Justement, il semble que nous sommes encore dans cette période dépressive qui a suivi l’effondrement des grands systèmes. Tant de gens ont donné leur vie pour des causes revêtues du sceau de l’absolu que c’est désormais le scepticisme qui prévaut, avec un véritable culte voué à la pratique d’un doute que l’on n’oserait dire cartésien, car il est plus proche du caprice que d’une véritable méthode. La difficulté, c’est que l’on ne doute qu’en proportion de ses propensions narcissiques et nullement dans la logique d’une discipline intellectuelle qui permettrait de progresser vers plus de sérieux, voire de certitudes rationnelles et personnelles.

Il m’est arrivé ici de traiter du cas de Frédéric Lenoir, qui ne se retrouve pas au hasard dans le puzzle du Point. C’est vrai qu’il est assez représentatif d’une mentalité d’époque qui se reconnaît dans l’éclatement des cohérences traditionnelles et réclame son droit à créer sa religion indivi­duelle : « Malgré le regain très médiatisé des fondamentalismes et des communautarismes, on constate qu’en fait les rituels et les dogmes reculent, que le divin devient plus intérieur pour nombre de croyants. Après le Dieu qui dit la loi et qui fait peur semble venir à mon avis le temps d’une force divine bienveillante ou d’un Dieu qui protège et parle au cœur. Un Dieu plus féminin, en somme. » Ce type de propos est typique d’une mentalité ductile dont les représentants font leur trafic dans les rayons d’un supermarché toujours extensible. Son Dieu féminin et délié du fardeau de la loi rappelle étrangement celui du théosophe (ou mythologue) allemand Eugen Drewermann.

Cette conception très pragmatique du religieux suppose qu’il n’existe qu’au stade d’une croyance bienfaisante mais imprécise. Car le grand danger, c’est le dogme ! Et là-dessus, Boris Cyrulnik, notre spécialiste de la résilience, est définitif : « Le doute est salutaire. Quand on a un dogme, on récite et on tue. » Une telle assurance n’a-t-elle pas aussi une charge qu’on pourrait ironiquement définir comme dogmatique ? Il serait d’ailleurs bien intéressant de demander plus de précision aux intéressés sur ce qu’ils entendent exactement au travers d’une telle exécration. Savent-ils vraiment ce qu’est un dogme dans le christianisme ? C’est assez peu vraisemblable. Mais il est bien possible qu’il y ait confusion dans leur tête entre le dogme lui-même qui contribue à structurer la foi chrétienne et une attitude improprement appelée dogmatique qui consiste à violenter les conditions humaines d’accès à la vérité et à la Révélation.

S’en prendre au dogme lui-même est plutôt vain, car on se prive ainsi de la consistance intellectuelle du christianisme. C’est aussi se méprendre sur ce qu’est un article de la foi. Celui-ci ne bloque nullement la pensée mais bien au contraire invite à réfléchir plus intensément. Tout autre est le problème de notre accès à la proposition de la foi, qui peut être chaotique, incertain, et même, dans le cas des plus grands saints, environné de ténèbres qui obscurcissent les certitudes au sein d’une épreuve réservée aux âmes d’élite. Les aimables sceptiques n’ont aucune idée de cette nuit décrite par les mystiques. Parmi eux, il y a le cas de Thérèse de Lisieux, dont les compagnes interdites jugèrent sage d’atténuer quelque peu pour le public l’expression d’une telle détresse, pire, sans doute, que la souffrance physique de la jeune carmélite.

C’est à cet exemple que le théologien Joseph Ratzinger se référait au début d’un ouvrage consacré à une présentation générale de la foi chrétienne. Et il n’hésitait pas à en tirer des conclusions propres à déconcerter tous les prêcheurs en scepticisme : « Le croyant comme l’incroyant, chacun à sa manière, connaîtra le doute et la foi, s’il ne cherche pas à se faire illusion à lui-même et à se dissimuler la vérité de son être. Personne ne peut échapper entièrement à la foi ; chez l’un la foi sera présente contre le doute chez l’autre, grâce au doute et sous la forme du doute. C’est une loi fondamentale de la destinée humaine, qu’elle réalise son existence dans cette dialectique permanente entre le doute et la foi, entre la tentation et la certitude. De cette façon, le doute, qui empêche l’un et l’autre de se claquemurer dans leur tour d’ivoire, pourrait devenir un lieu de communion. Loin de se replier sur eux-mêmes, ils y trouveront une occasion d’ouverture réciproque. Le croyant partagera ainsi la destinée de l’incroyant et celui-ci, grâce au doute, ressentira le défi lancé inexorablement par la foi » (Joseph Ratzinger, La Foi chrétienne hier et aujourd’hui, Cerf/Mame, 1985).

Le Point, précisément, offre une illustration très concrète à cette ouverture réciproque en donnant la parole à l’ancien curé de Saint-Eustache, le père Gérard Bénéteau, prêtre de l’Oratoire : « Non seulement j’ai mes interrogations et mes doutes, mais je pense qu’ils m’aident à dialoguer avec mes fidèles et avec tous ceux qui viennent vers moi. » Et de rappeler que « la foi reste une proposition faite à la conscience de chacun ». Son expérience sacerdotale l’a persuadé que les frontières entre croyants et athées sont souvent plus indécises que l’on pense. Ainsi a-t-il enterré religieusement — ce que j’ignorais — le psychanalyste Félix Guattari ! Pour moi, Guattari, co-auteur avec Deleuze de L’Anti-Œdipe, un livre qui a tellement compté pour ma génération, même pour ceux qui le contestaient le plus durement, est un exemple phare d’une culture qui s’était complètement rétractée face à la proposition évangélique. Et pourtant il avait dit au père Bénéteau avant de mourir : « Je ne suis pas certain de votre foi, mais elle représente une ouverture possible. »

L’ancien curé de Saint-Eustache a vécu la tragédie du sida à un rare degré d’intensité : « J’ai enterré 10% des effectifs du personnel d’un grand couturier. Avec la maladie, la foudre est tombée sur une population, celle des boutiques de mode environnant l’église qui, jusque-là semblait privilégier l’accessoire ou l’apparence. Le soir, on m’invitait à débattre de la vie éternelle. » J’ai pour ma part gardé en souvenir ce que m’avait raconté mon amie Margarita, aujourd’hui religieuse contemplative, d’une soirée de prière à Saint-Eustache, remplie d’une foule d’homosexuels en pleurs, tous frappés par des deuils cruels. On comprend qu’une telle tempête ait bouleversé la vie d’un pasteur. Et l’on est d’autant plus réceptif à son témoignage qui nous fait franchir le seuil de la foi conçue à la foi vécue.
Mais je ne terminerai pas ce libre commentaire du dossier de mes confrères sans évoquer les très belles images de l’entrée de sœur Marie-Thérèse du Sacré-Cœur dans un couvent dominicain du New Jersey. Les photos sur huit pages reflètent simplement la beauté d’un engagement total d’une jeune fille de 24 ans. Le photographe Tony Greaves qui a pu prendre quelques instantanés, depuis son entrée au noviciat jusqu’au moment où elle a prononcé ses vœux, a intitulé son reportage : « L’amour absolu ».