Les enjeux politique de l'histoire - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Les enjeux politique de l’histoire

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L’histoire n’est pas seulement cette discipline que l’on range dans la catégorie des sciences humaines, catégorie d’ailleurs très problématique. Elle est un enjeu de légitimité politique et idéologique. On se dispute ardemment, violemment, sur des sujets dont il ne s’agit pas seulement d’établir la réalité, les circonstances et les causes mais aussi la portée symbolique. Une portée qui justifie des combats très actuels. Les historiens eux-mêmes sont marqués par certains choix, leur philosophie, leurs appartenances. Et il n’est guère d’objet neutre dans leur domaine. Les conflits d’interprétations ne sont pas d’hier. A la fin de l’Ancien Régime, on se disputait à propos des origines de l’aristocratie française qu’un Boulainvilliers voulait franques pour mieux la distinguer du peuple qui lui aurait été d’origine gauloise. Il s’agissait de soutenir la réaction nobiliaire contre la monarchie de Louis XIV. Plus tard, viendront les querelles sur la Révolution Française. Elles courront tout au long des XIXe et XXe siècles, et elles seront ranimées par la volonté des historiens marxistes d’établir une pleine continuité entre le 1789 des jacobins et le 1917 des bolcheviques. François Furet viendra en arbitre de la bataille, comme avant lui Fustel de Coulanges avait arbitré dans l’affaire des Francs et des Gaulois.

Depuis la seconde Guerre mondiale, la lutte a pris de nouvelles dimensions avec la mémoire de la Shoah que l’on a voulu protéger par la loi, en s’attaquant aux tentatives des négationnistes. Mais une véritable guerre des mémoires s’en est ensuivi, avec la volonté de faire reconnaître officiellement les autres génocides de l’histoire. On sait que le Sénat, après l’Assemblée Nationale, s’apprête à voter une loi condamnant la négation du génocide arménien. Les passions sont à vif, d’autant que le gouvernement d’Ankara ne supporte pas ce qu’il considère comme une agression.

Je ne saurais pour ma part arbitrer dans ce domaine précis, quoi qu’il n’y ait pour moi aucun doute quant au massacre des Arméniens. Mais, en même temps, je suis sensible aux arguments de Pierre Nora qui craint une inflation de ce qu’il appelle les lois mémorielles. Il faut être net à propos des grands crimes, et nous connaissons les plus cruels que nous avons vécus avec le Cambodge et le Rwanda. Mais en même temps, il s’agit de se méfier d’un jeu de mémoire qui, dit Pierre Nora, nous propose d’entrer dans l’avenir toujours à reculons.

Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 11 janvier 2012.