Si l’on prend quelque distance par rapport aux controverses actuelles, que retenir de la contestation qui est faite de la personne de Jésus par ceux qui projettent sur la scène leurs hantises et leurs obsessions ? Simplement le scandale de la Croix, dont parlait déjà Saint Paul. Un scandale qui associe la figure du Fils de Dieu au mystère du mal dans ce qu’il a de plus insupportable. Sur ce point, Romeo Castellucci ne manque pas d’arguments pour invoquer la théologie de la kénose, c’est-à-dire celle de l’abaissement inouï de celui qui s’est livré à la condition d’esclave et à la mort la plus ignominieuse. On peut comprendre aussi qu’un Rodrigo Garcia, imprégné de la sensibilité et de l’iconographie hispaniques, veuille communiquer une violence intérieure qui semble ne pas s’être apaisée depuis l’enfance.
Que tout cela dégénère en contestation et provocation n’étonne pas non plus. Jean-Michel Ribes n’a pas tort d’affirmer que Gólgota picnic a le mérite de marquer la présence tenace de Jésus en notre temps. Même s’il s’agit du Christ aux outrages, du Christ souffleté, c’est toujours l’envoyé du Père, venu manifester l’amour divin pour l’humanité à travers l’offrande absolue de soi-même. Sans doute avons-nous affaire à des exhibitionnistes satisfaits de susciter émois et manifestations. Ils posent néanmoins de vraies questions. C’est pourquoi il fallait que le scandale éclate, à la fois pour réveiller la conscience des chrétiens, mais aussi pour révéler au monde que son oubli de la Rédemption ne l’a pas guéri d’une blessure qui affecte notre humanité profonde.
C’était déjà un sujet de querelle entre le païen Celse et le chrétien Origène aux premiers siècles du christianisme. Celse refuse de toute sa sensibilité et de toute sa culture que Dieu fût esclave ou malade, qu’il dût mourir. Cela dépassait son imagination et sa compréhension, parce qu’il était invraisemblable que la divinité ait été associée à des « choses sales et mauvaises ». Voilà qu’elles sont aujourd’hui exposées violemment, comme une forme de déni, ces choses insupportables ! Que les chrétiens en souffrent, cela se conçoit parce que la charité du Dieu vivant demeure absente de ces spectacles, alors que c’est elle qui s’est affirmée dans le paradoxe violent de la Croix. Et s’il leur faut manifester, c’est au nom du Vainqueur de la mort, afin d’aller plus loin que la protestation, jusqu’à l’attestation de la foi au Dieu qui a envoyé son Fils dans ce monde blessé et pécheur.