C’est au lecteur lui-même et non à moi de juger si les explications de ce qu’il a voulu faire, fournies aimablement par le P. Xavier Léon-Dufour, rendent plus clair son dessein ou non.
Je me permettrai de faire observer que je m’étais, pour ma part, borné à mentionner le fait que la livre du P. Xavier Léon-Dufour introduit et vulgarise les idées, touchant « le mystère pascal » et sa dissociation pénible de la résurrection, qui ont été récemment lancées, ou plutôt relancées, par l’exégète protestant d’Allemagne Marxen. Après quoi, je m’étais contenté d’analyser ces idées, dans leur contenu essentiel, en m’efforçant soigneusement d’éviter toute référence aux formulations particulières que leur donne le P. Xavier Léon-Dufour.
Autrement dit, j’avais fait tout mon possible pour éviter de placer le débat sur un terrain personnel.
***
Le P. Xavier Léon-Dufour, cependant, par son nouveau texte, rend évidente sa pensée sur deux points liés :
1° Les faits historiques (ou le fait historique) correspondant à ce que les évangélistes nomment résurrection du Christ se réduisent (ou se réduit) à :
a) L’impression subjective des disciples qu’ils avaient rencontré le Christ vivant après sa mort :
b) La vacuité apparente du tombeau, quand les femmes y sont venues.
2° La « résurrection de Jésus » elle-même n’est pas un fait, si je comprends bien, mais une première interprétation de ce fait (ou de ces faits).
Cette interprétation elle-même n’a de sens dans un contexte de conceptions cosmologiques et anthropologiques caduques et ne peut donc plus avoir de sens pour nous, à supposer qu’elle ait jamais pu en avoir un qui fût satisfaisant.
Le « message pascal » (l’affirmation, toujours, si je comprends bien, que « Jésus reste vivant », dans l’Eglise et dans le monde) peut et doit donc être dissociée de l’affirmation de la « résurrection ». Tout au plus le maintien de cette formule, dépassée dans les textes anciens, a-t-il l’avantage, comme simple « langage de référence », de nous avertir de ne pas épuiser en pure et simple abstraction cette « vie » ambiguë.
Ces deux points constituent exactement ce que me semble évaporer radicalement la foi traditionnelle de l’Eglise. Je maintiens qu’ils ne peuvent être présentés comme « de l’histoire » : ils sont la simple expression, à propos de l’histoire, d’un fait a priori philosophique.
J’ajouterais seulement deux remarques.
La première est que supposer qu’on ne pourrait soutenir :
a) Que la résurrection est un fait historique, c’est-à-dire un événement qui a effectivement eu lieu dans l’histoire, sans devoir soutenir nécessairement :
b) Que ce fait est strictement démontrable par une voie purement scientifique, ne faisant aucun appel à la lumière de foi, cette supposition, dis-je, revient à présenter pratiquement comme dénuée de sens, voire de possibilité, l’affirmation de toute la tradition, jusqu’à l’époque moderne.
La seconde est que les raisonnements du P. Xavier Léon-Dufour supposent également que toute interprétation, qu’elle quelle soit, ne peut que couler la foi de l’Eglise dans un cadre conceptuel fourni par la pensée contemporaine, à chaque époque, et qu’il ne saurait être question de modifier ce faisant les concepts utilisés. Cette vue, me semble-t-il, conduit inévitablement à maintenir que toute expression de la foi lui reste substantiellement étrangère et qu’il n’en est aucune qui puisse avoir quelque valeur permanente, bien entendu, ni, à dire vrai, une capacité quelconque d’exprimer cette foi à proprement parler, fût-ce au moment même où l’on peut admettre l’interprétation envisagée comme conforme à la mentalité de l’époque.
J’ai le regret de dire que ceci me paraît être la quintessence de Schleiermacher et du protestantisme dit libéral du XIXe siècle. Il y a bien longtemps que tout le monde est d’accord pour penser qu’une telle conception prive non seulement « la résurrection », mais tout dogme, quel qu’il soit, de son sens, voire de la possibilité même d’avoir un sens. C’est tout ce que j’ai voulu dire.
Rappel des trois points principaux de la Note doctrinale de l’Episcopat français
1) La résurrection du Christ constitue le sommet de l’Histoire sainte ; en elle, culmine l’histoire du salut, c’est-à-dire les actions qui manifestent la venue de Dieu vers l’homme pour réaliser en lui la vocation divine à laquelle le destine son amour.
Le fait de la résurrection, dont seuls « ceux que Dieu a choisis » (Ac 10,41) furent témoins, a laissé des traces que ne saurait ignorer l’histoire profane : son annonce propose à tout homme de bonne volonté des signes qui ne trouvent que dans la foi leur pleine signification. La résurrection ne peut donc être considérée comme une pure expérience subjective ni comme la simple irruption du Christ vivant dans la vie intérieure des apôtres…
En tant qu’elle est action divine, la résurrection échappe à toute saisie de l’expérience sensible. Elle est un mystère auquel Dieu seul peut introduire. Elle relève de la foi et c’est dans la foi que les apôtres l’ont connue : à travers ses apparitions, le Christ, qui se montre vivant, révèle le caractère divin de sa résurrection, afin de susciter et de structurer leur foi. C’est sur cette foi des apôtres, dont ils ont témoigné jusqu’à la mort, sans que rien ait pu les empêcher de parler, que repose notre foi. Sa certitude vient de la certitude inébranlable et inconfusible de la foi des apôtres.
Mais on ne saurait prétendre que la résurrection du Christ échappe totalement à la connaissance historique. Celle-ci a pour mission d’établir la réalité des faits, dont l’affirmation s’impose à une investigation objective de l’histoire de l’humanité. Les apôtres, témoins des circonstances dans lesquelles Jésus ressuscité s’est manifesté à eux, situent dans la succession historique (« il est ressuscité le troisième jour ») un événement dont la foi leur a révèle la signification salutaire pour toute l’humanité.
« Si, étant ennemis, nous fûmes réconciliés à Dieu par la mort de son Fils, combien plus, une fois réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie… » (Rm 5,10)
2) La résurrection du Christ concerne la totalité de l’humanité que la Verbe a assumée en se faisant chair. L’ayant totalement prise dans sa condition mortelle, il l’a transfigurée par sa résurrection. Aussi bien, l’objet de notre foi, qui est « la rédemption de nos corps » (Rm 8,23), exige que, dans le Christ d’abord, « l’être corruptible revête l’incorruptibilité, que l’être mortel revête l’immortalité » (1Co 15,54).
De cela sont témoins tous ceux que Paul énumère :
« Je vous ai donc transmis… ce que j’avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Ecritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Ecritures, qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères… Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. Et, en tout dernier lieu, il m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton… » (1Co 15,3-8).
L’enseignement de Paul est formel, aussi bien que celui des Evangiles. C’est bien le même corps que le Verbe de Dieu a pris de la Vierge Marie par la puissance de l’Esprit, qui a été crucifié et mis au tombeau, et qui a été transfiguré par la puissance de l’Esprit.
Cette affirmation a toujours constitué un scandale pour ceux qui prétendent poser des limites à la puissance de Dieu et à la liberté de son amour. La Tradition de l’Eglise a toujours refusé des explications ou des présentations de la résurrection capables de mettre en péril la vérité du Christ vivant et son unité, Dieu véritable et homme authentique. Les textes évangéliques, en montrant la continuité de l’ensevelissement et de la résurrection, la constatation du tombeau vide, le caractère sensible des apparitions, entendent témoigner de la continuité du corps enseveli et du corps ressuscité « à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2,11).
3) La résurrection de Jésus, centre de la foi chrétienne, est en relation nécessaire avec d’autres actions divines, attestées par la prédication des apôtres : la conception virginale, qui implique une intervention de Dieu dans l’histoire des hommes et inscrit l’action de l’Esprit Saint à l’intérieur même de la succession des générations humaines ; l’exaltation à la droite du Père, qui établit l’humanité glorifiée de Jésus au-dessus de toute créature et constitue le Ressuscité tête du Corps mystique. Cette intronisation dans la gloire, accomplie à l’Ascension, achève le mystère de la résurrection du Christ : « Le Christ est entré dans le ciel lui-même, afin de paraître maintenant devant la face de Dieu en notre faveur. » (He 9,24).
Louis BOUYER