L’Eglise et la politique - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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L’Eglise et la politique

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Quand on parle de l’Eglise et de la politique, que veut-on dire ? Si, par l’Eglise, on entend l’expression que l’autorité dans l’Eglise doit donner, à chaque époque, de la parole du Christ aux hommes de tous les temps, il devrait aller de soi que l’Eglise ne pourra jamais adopter, à l’égard de la politique et de ses problèmes, une autre attitude que celle du Christ. Elle devra toujours, en ce domaine, respecter l’humain, et exiger le respect de l’homme, de l’homme concret, et de l’homme tout entier, mais refuser d’intervenir autrement dans des tâches qui sont celles de l’homme en tant qu’homme et rien de plus. Elle devra encore rappeler à l’homme dans cesse que ces tâches, si importantes soient-elles, ne sont pas le tout de l’homme, ni même ce qui doit lui paraître « la seule chose nécessaire ».

Les fins et les compétences

Pas plus que l’Eglise ne peut se substituer à la famille, au laboratoire, à l’usine ni substituer à aucune des activités naturelles ou culturelles de l’homme ses activités propres, elle ne saurait se mêler de politique autrement que pour rappeler la finalité surnaturelle de toute la vie humaine, avec les exigences qui en découlent, et d’abord le respect de l’homme en tant que tel.

Si, par l’Eglise, on entend les hommes d’Eglise, et spécialement les clercs en tant que voués particulièrement à ces fins de l’homme qui dépassent l’homme, soit même les laïcs, en tant qu’associés, par leur témoignage individuel ou collectif, à la proclamation de la parole divine, ceci, de soi-même, ne les pourvoira d’aucune compétence ni donc d’aucune autorité particulière pour s’occuper des affaires politiques, pas plus que des affaires familiales, scientifiques, artistiques ou culturelles en général. Tout ce que leur christianisme doit avoir comme effet, dans leurs activités se rattachant à ces différents domaines, c’est d’abord de les purifier des passions qui corrompent ou obscurcissent la vision des choses dans l’homme déchu. Et c’est, en conséquence, de les aider à rendre toutes ces activités, pour autant qu’il dépend d’eux, vraiment et pleinement humaines.

Mais vouloir que l’Eglise, dans son enseignement autoritaire et autorisé, produise une politique qui soit la sienne c’est vouloir qu’elle s’introduise dans des tâches pour lesquelles, en tant qu’Eglise, elle n’a aucune compétence particulière.

Qui plus est pour les évêques et les prêtres, c’est vouloir en revenir à des occupations humaines, certainement bonnes en soi, mais desquelles le Christ a voulu systématiquement s’abstenir et dont il a détourné ceux qui voulaient le suivre pour devenir ses apôtres, afin qu’ils se consacrent sans partage au règne de Dieu et à sa justice. Il en est ici comme de la famille et de la profession. Jusqu’au moment où le Christ a commencé son ministère, il a vécu dans la famille où il était né, et il est probable qu’il a collaboré aux tâches des siens. Mais en vue de la tâche à laquelle le Père le destinait, il s’est abstenu de fonder lui-même une nouvelle famille, et, dès qu’il s’est engagé dans l’ « œuvre du Père », il a laissé toute autre œuvre humaine. Ainsi doit-il en être, normalement, pour les successeurs des Apôtres, les évêques, et leurs coopérateurs, les prêtres.

Au laïcs seul, en définitive, et à supposer qu’aucune vocation du type monastique ne le mette à part des autres, appartient, avec la responsabilité familiale ou professionnelle, la responsabilité politique proprement dite. A lui seul, il revient, par conséquent de s’engager dans la politique, c’est-à-dire non seulement dans le choix des grandes fins de l’homme, mais bien encore dans les moyens concrets de réaliser celles-ci pour autant qu’elles sont accessibles par la voie politique, c’est-à-dire d’une activité simplement temporelle.

En voulant s’engager de la sorte à la place des laïcs, les hommes d’Eglise ne font que mésuser de leur autorité propre. Ils s’introduisent en un domaine où cette autorité n’a que faire et empêche d’y intervenir efficacement ceux-là seuls que leur situation dans la vie en rend capables.

A mettre les choses au mieux, l’Eglise, en intervenant de la sorte, pratique un paternalisme, une sacralisation factice du temporel qui empêchent le chrétien individuel et l’homme en général de parvenir à une condition adulte, et qui, sous couleur de perfectionner du dehors le temporel, ne font que dénaturer celui-ci, et le surnaturel du même coup.

Au pire, l’Eglise en intervenant de la sorte au nom de l’éternel, pour des objets, même excellents, mais de soi limités à la vie présente, en prétendant donner la consécration de l’absolu à ce qui n’est que relatif et user de son infaillibilité au bénéfice de recherches humaines et d’efforts humains nécessairement faillibles, d’une part, se discrédite elle-même. Mais, d’autre part, elle forge ainsi à l’homme de nouvelles idoles, à la place de celles dont le Christ l’avait libéré, de nouvelles chaînes au lieu de celles que sa mort avait brisées.

Non à la régression

Dans le passé sans doute, dans des périodes critiques où l’humanité n’avait pas encore pris en main le gouvernement d’elle-même et où les gouvernement alors acceptés se montraient défaillants, il a paru tolérable, voire louable, de la part des hommes d’Eglise, d’exercer momentanément des responsabilités temporelles, que personne d’autre n’était alors capable d’assumer. Même dans de tels cas, ils ne l’ont pas fait, cependant sans que leur tâche propre, leur fonction propre, leur caractère propre ne risquent d’en souffrir gravement. En fait, la dégénérescence de l’Eglise au cours du Moyen Age trouve là sa première et fondamentale explication.

Vouloir qu’à nouveau, et plus que jamais, ils reviennent aujourd’hui à ces confusions qui n’ont plus du tout les mêmes excuses, dans l’état présent de la société humaine, loin de constituer un progrès pour le monde et pour l’Eglise, ne serait donc que la plus inexcusable des régressions. Ne faisons pas en sorte qu’un néo-cléricalisme devienne lui-même le pire ennemi de l’Eglise.

Louis BOUYER