La reconnaissance des disparitions d’Européens lors de la guerre d’Algérie est restée en France un secret d’Etat pendant plus de 40 ans ; elle fait toujours l’objet d’un déni de la part des Algériens. Une première recherche scientifique a été engagée en 2004 par une équipe constituée par la Mission interministérielle aux rapatriés (MIR), en coopération avec le Haut Conseil des Rapatriés et la Direction des archives diplomatiques. Le rapport de cette équipe, en novembre 2006, concluait à la disparition d’environ 2000 Français d’Algérie dont 320 avant le cessez-le-feu 1. Mais ce total comprenait 535 personnes au sort incertain.
L’auteur est donc parti de ce résultat et a conduit une recherche approfondie dans des fonds d’archives, autres que diplomatiques, qui n’avaient pas été consultés : les Centres des archives nationales, contemporaines, militaires, d’outremer, de la Croix-Rouge, et surtout du Service central des Rapatriés. La consultation de 12.000 dossiers lui a permis de réduire les cas incertains à 170, et de publier les listes – des présumés décédés (1.583 dont 145 Musulmans) – des cas incertains – des personnes dont le corps a été retrouvé (123). En outre 349 faux disparus sont rentrés en France et 84 militaires ont été inscrits au mémorial du quai Branly. La répartition des disparus est précisée par année, mois de 1962 et par département : 40% ont eu lieu à Alger et 35% à Oran ( 679 Oranais du 26 juin au 10 juillet 1962). Des charniers sont découverts près d’Alger, et des lieux de détention connus ; des témoignages précis confirment la réalité des enlèvements de familles entières. Il apparaît enfin que 900 noms ont été gravés par erreur sur le mur des disparus édifié à Perpignan.
Ce travail considérable met en évidence et confirme des faits historiques qui sont contestés par des historiens inspirés par une vision manichéenne du bon et du mauvais combat. En voici quelques-uns :
– le terrorisme du FLN-ALN a été beaucoup plus meurtrier que celui de l’OAS ; dès 1955, il visait à l’extermination de tous les Français d’Algérie, préconisait la mutilation des corps et éliminait en masse les Français-Musulmans loyaux,
– les disparitions forcées sont considérées par l’ONU comme des crimes contre l’humanité,
or les auteurs d’enlèvement n’ont jamais été condamnés (cas de Attou à Oran),
– réagissant à la violence des nationalistes, les Français d’Algérie se sont repliés dans les villes, ont riposté aux attentats par des ratonnades et ont soutenu l’OAS ; le commandant Azzedine confirme que leur exode massif est la conséquence des enlèvements.
– les accords d’Evian n’ont pas été respectés par le FLN, dont les dirigeants se déchirent pendant tout l’été 1962, ce qui a facilité les exactions et les sévices,
– les directives de non-intervention militaire du Premier ministre confirment les décisions gaullistes au Comité des Affaires algériennes (20 décembre 1961, 27 février et 23 juin 1962) ; le général Katz prétend ne pas avoir de consignes, alors que les directives du général Fourquet (19 et 27 juin) sont très claires ; le 5 juillet à Oran, les interventions militaires ont été plus nombreuses qu’on le dit,
– la majorité des enlevés ont été torturés, et certains vidés de leurs sang (confirmation de Gregor Mathias).
La recherche historique progresse ; il faut faire confiance aux historiens qui tels que Jordi, sont attachés à la réalité des faits.
Maurice Faivre, le 31 octobre 2011.
Jean-jacques Jordi. Un silence d’Etat. Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie. Soteca 2011, 200 pages, 25 € .