Assise III : la grande fraternité des religions - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Assise III : la grande fraternité des religions

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On gardera de ce troisième rassemblement interreligieux d’Assise les images très symboliques d’un monde réuni (sinon réconcilié) à l’aune des retrouvailles de ses responsables religieux les plus divers. Comme en 1986, c’est le cadre exceptionnel de la patrie de saint François qui aura permis cette performance qui relève à la fois de la diplomatie internationale très spécifique du Saint-Siège et de sa traduction médiatique très efficace. Certes, depuis 1945, c’est la planète entière qui s’est habituée à vivre au rythme des rencontres internationales et des échanges au plus haut sommet. La fondation de l’organisation des Nations unies correspondait au projet d’un Rossevelt, qui voulait que la victoire sur l’Allemagne nazie débouche sur la constitution d’une sorte de démocratie mondiale. En dépit de l’affrontement Est-Ouest, l’Onu a persisté dans cette direction et on n’imagine plus que les États puissent se passer de cet espace de négociation et d’ébauche d’un droit international. Le coup d’audace de Jean-Paul II fut de transposer à l’univers des religions cette sorte de modus vivendi, non, certes en constituant un Parlement des religions dont le concept n’était pas tenable, mais en suscitant des rencontres au sommet, pour promouvoir une dynamique de conciliation et de pacification à l’encontre des processus d’affrontement.

Vatican II avait tracé la voie avec le document Nostra Aetate, qui établissait pour la première fois une cartographie des religions dans leur proximité et leur éloignement du christianisme. Un secrétariat pour le Dialogue interreligieux avait été mis en place à Rome. La tâche de Jean-Paul II consista à donner une plus grande visibilité à cet effort de dialogue, en lui conférant du même coup une dimension politique sui generis. le pape polonais était d’autant plus enclin à faire bouger les choses qu’avant même la chute du mur de Berlin la question religieuse commençait à apparaître comme constitutive des relations internationales et de l’équilibre mondial.
On l’a peut-être oublié aujour­d’hui, mais en 1986, au moment de la première rencontre d’Assise, la France elle-même vit dans un climat de psychose à la suite des attentats qui se sont produits à Paris (notamment celui qui a eu lieu rue de Rennes et qui a fait sept morts et cinquante-six blessés). Quelques mois plus tard, Jean-Paul II accomplit sa visite pastorale à Lyon où il est l’objet d’un surcroît de précautions policières qui frappe beaucoup l’opinion. Les regards sont surtout braqués vers la république islamique d’Iran, d’où semblait émaner une stratégie mondiale de déstabilisation. Le pape a perçu qu’il y avait un danger dans la montée en puissance des facteurs religieux comme fauteurs de guerre et de menées terroristes. Son intuition fut largement confirmée par la suite puisque le débat qui s’imposera au lendemain de la disparition du bloc soviétique tournera autour des thèses de Samuel Huntington sur « le choc des civilisations » qui sous-entend la prédominance des oppositions culturelles, de nature religieuse, dans les affrontements entre aires de civilisation.
Les attentats du 11 septembre 2001 confirmeront la position d’Huntington à l’encontre de celle d’un Fran­cis Fukuyama, annonciateur d’une « fin de l’Histoire » avec l’extinction progressive des grands conflits idéologiques. Jean-Paul II est encore au rendez-vous, puisqu’il décide d’un second rassemblement à Assise à la fin de cette même année 2001. Ce dernier sera de moindre importance que celui de 1986, sans doute parce qu’il a été décidé dans l’urgence mais peut-être aussi parce que la doctrine sous-jacente au dialogue interreligieux est un peu en crise. Il n’y a pas que la contestation traditionaliste (et singulièrement lefebvriste) à avoir suscité un climat de malaise à ce propos. Au niveau des dicastères romains il y a des différences, sinon des oppositions, sur la notion de rapports à établir avec des religions et des sagesses qui ne répondent pas du tout aux idées maîtresses de la révélation biblique et de la tradition chrétienne. Le dialogue œcuménique est une chose qui relève spécifiquement de ces deux références. Avec le judaïsme, on est sur la voie de progrès décisifs, d’autant qu’enfin on commence à parler théologie à partir du Testament qui nous est commun. Avec l’islam, on franchit un abîme, car les oppositions en théodicée sont frontales. Que dire alors du bouddhisme et de l’hindouisme qui appartiennent à des conceptions du monde qui mettent en cause la structure de notre anthropologie ? Le cardinal Ratzinger mettra l’accent sur la distinction entre discussion théologique possible et confrontations entre philosophies dont les différences et oppositions viennent d’abord qu’elles ne répondent pas au même type de questionnement.

Le nouveau pape devait donc reprendre le dossier, en tirant les leçons de l’expérience de son prédécesseur et les fruits de sa propre réflexion. Sa décision de convoquer un troisième rassemblement d’Assise a correspondu à sa conviction du bien-fondé de l’intuition de Jean-Paul II. Le dialogue interreligieux constitue une nécessité impérative, eu égard à la situation des religions et à l’équilibre instable de nombre de pays où le christianisme est persécuté. Par ailleurs, il fallait tenir compte des réels progrès accomplis, ne serait-ce que dans les relations avec certains secteurs de l’islam. À la suite de la désormais célèbre querelle de Ratisbonne, des liens ont été noués avec des personnalités musulmanes, qui s’avèrent précieuses pour endiguer les extrémismes. Il n’y a donc pas de raison déterminante pour ne pas poursuivre dans une ligne d’ouverture fraternelle, hors de laquelle il n’y aurait que mécomptes et dérapages dangereux.

Cependant, Benoît XVI ne sous-estime pas les risques de relativisme doctrinal qui puissent résulter d’une fausse compréhension de l’objectif poursuivi. Il est trop évident qu’en Europe, ce dialogue interreligieux donne lieu à des dérives qui provoquent la dissolution des structures des déclarations de la foi. Ce n’est pas pour rien qu’il décide une Année de la Foi en 2012-2013, consacrée à une véritable réappropriation du Credo par les fidèles de l’Église catholique. Le syncrétisme mou qui est présent dans des secteurs importants des médias et jusqu’aux marges du catholicisme interdit-il que l’on participe à la moindre opération de brouillage spirituel ou théologique ? On en veut pour preuve la défiance entretenue à l’égard des dogmes considérés comme des interdits ou des facteurs de division sectaire pour prendre conscience de la confusion qui règne. Les dogmes n’ont jamais été des impasses de la pensée, leur définition a au contraire déterminé les avancées les plus intéressantes dans l’approche du mystère divin.
Assise ne saurait donc participer à ce type de processus. Benoît XVI a voulu que tout s’y opère dans la plus grande clarté. Certaines improvisations fâcheuses ont été écartées, qui avaient suscité de justes remarques de la part des traditionalistes. Plus question de placer une statue de Bouddha sur l’autel d’un sanctuaire. La démarche de prière propre à chacun a été renvoyée à l’espace privé des cellules monastiques mises à disposition par les Franciscains d’Assise. Mais la démarche commune de fraternité revendiquée par tous était d’une incontestable visibilité, puisqu’elle se réclamait de la bonne volonté que tous doivent reconnaître, et sans laquelle il n’y aucune chance de progresser sur le chemin de la paix.

Le discours prononcé par Benoît XVI le matin du 27 octobre retint l’attention par les inflexions particulières qu’il a voulu apporter, ne serait-ce que pour opérer un discernement dans les débats publics. Aussi, à l’instar de son prédécesseur, il a reconnu que malheureusement les chrétiens avaient pu être infidèles à l’Évangile en participant à des œuvres de guerre. Mais il a aussi souligné qu’on ne pouvait imputer aux seules religions la responsabilité de la violence entre les hommes et que, bien au contraire, celle-ci était l’effet d’une incompréhension et d’une trahison de l’esprit religieux. Dans la même ligne, il a fortement souligné que l’absence de Dieu et son refus étaient à l’origine « d’une cruauté et d’une violence sans mesure ». On pouvait, même si ce n’était pas explicitement évoqué, se rappeler que les totalitarismes criminels du vingtième siècle étaient précisément fondés sur le refus de Dieu. Mais le « drame de l’humanisme athée » peut prolonger ses conséquences au-delà du nazisme et du communisme en suscitant une contre-religion « silencieuse, donc plus dangereuse » définie par « l’adoration de l’argent, de l’avoir et du pouvoir » où la violence se trouve normalisée.
Enfin, innovation de cette rencontre, la présence d’agnostiques, désireux de s’insérer dans cette dynamique de la rencontre respectueuse. Julia Kristeva, par exemple, a voulu explicitement signifier le passage d’une philosophie du soupçon à une démarche du défi. Benoît XVI ne pouvait que reconnaître dans cette intention un signe positif, dans une nouvelle étape de la confrontation entre foi et raison. Car si « l’absence de Dieu conduit à la déchéance de l’homme et de l’humanisme », il conviendrait sans doute que pensée théologique et humanisme sérieux coopèrent pour construire une planète où la liberté intérieure garantira l’expression supérieure de la quête de la vérité.

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