Satan, etc. - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Satan, etc.

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Dans « La Liberté, pourquoi faire? » le grand écrivain français catholique Georges Bernanos remarque:

« Il y a dans l’homme une haine secrète incompréhensible, non seulement de ses semblables, mais de lui-même. On peut bien donner à ce sentiment mystérieux l’origine ou l’explication qu’on voudra, mais il faut lui en donner une. Pour nous, chrétiens, nous croyons que cette haine reflète une autre haine, mille fois plus profonde et plus lucide – celle de l’Esprit indicible qui fut le plus rayonnant des astres de l’abîme, et qui ne nous pardonnera jamais sa chute immense ». 1

Naturellement, c’est de Satan qu’il s’agit.

Une manifestation de la haine, selon le catéchisme, est que fréquemment, trompés par le malin, les hommes cessent de raisonner sainement et remplacent la vérité divine par un mensonge, soumis à la créature plutôt qu’au Créateur. Ceci nous indique deux dimensions du problème.
D’une part, nous avons perdu la vérité. Jésus était tout-à-fait net dans sa description de ses adversaires: « Vous avez pour père le diable et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Dès l’origine, ce fut un homicide; il n’était pas établi dans la vérité parce qu’il n’y a pas de vérité en lui: quand il dit des mensonges, il les tire de son propre fonds, parce qu’il est menteur et père du mensonge.» (Jean, 8:44).

Ces paroles sont d’autant plus incisives qu’elles sont proférées par l’Incarnation de la Vérité. Et c’est également la clé de notre existence: s’accrocher à la vérité. D’autre part, nous succombons en servant la créature et non le Créateur. Ce n’est qu’en servant le Créateur que nous saisissons vraiment ce qu’est être un homme. En Amérique nous parlons avec légèreté — sans réfléchir — de ce qu’il faut faire « pour les enfants », alors que les États-Unis sont les champions des viols et meurtres d’enfants du monde industriel.

La question est abstraite, mais on peut aisément en faire une représentation plus concrète. John Henry Newman décrit ainsi la nature de la religion de notre temps:

« Quelle est la religion du monde actuel? Elle a pris le côté séduisant de l’Évangile — la bonne nouvelle, le commandement d’amour; les aspects plus sombres, plus profonds de la condition humaine, son avenir, étant relativement omis. C’est une religion « naturelle » pour une ère civilisée, et Satan a vite et bien fait d’en faire une idole simulacre de Vérité. Avec la culture de la raison, la formation du goût, le raffinement des relations et des sentiments, des comportements convenables, gracieux, s’installeront naturellement au sein de la société, loin de toute influence de la Révélation. Cette beauté, cette délicatesse de pensée, si attrayantes dans les livres, s’installeront alors dans notre façon d’être, dans nos biens, nos actes, toute notre personne. »

La voilà, l’idole de Vérité. L’espèce de religion policée qui tout naturellement — et trompeusement — répand douceur et lumière, comme si c’était tout ce dont on aurait besoin face à nos soucis en famille et en société.
La Divine Révélation propose plutôt le catholicisme comme une lutte avec quelque chose bien moins terre-à-terre et bien plus familier que cette illusion idyllique: la haine, dont Bernanos, écrivain intuitif, nous parle ci-dessus. Nous marchons derrière quelqu’un qui fut crucifié et, comme je le rappelle souvent à mes étudiants, la crucifixion peut gâcher votre journée.Lui qui fut crucifié disait: « Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups; montrez-vous donc malins comme les serpents et candides comme les colombes. Méfiez-vous des hommes: ils vous livreront aux sanhédrins et vous flagelleront dans leurs synagogues; vous serez trainés devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi, pour rendre témoignage en face d’eux et des païens.» (Matthieu, 10:16-18).
Le catholicisme est tranché, risqué, robuste. Il n’y a rien d’étonnant à ce que la vie implique la vérité et la référence au Créateur. Ce qui veut dire s’opposer à la haine contre les hommes ou à une forme de mensonge capable de ruiner des vies tout aussi efficacement que la violence.
Alors, à quoi ressemble cette lutte? Tout d’abord le devoir d’humilité pour contrer le péché préféré » de Satan — l’orgueil. L’humilité d’accueillir avec simplicité l’enseignement de Dieu transmis par l’Église et de le suivre quoi qu’il arrive.

Veuillez pardonner un commentaire d’un immigrant qui aime l’Amérique — en général, les catholiques américains pourraient bien prendre quelques pilules d’humilité. Et tous nous aurions bien besoin du courage nécessaire à appliquer la vérité à la vie — pas une vérité de cinéma, pas la vérité d’Oprah [NDT: célèbre figure du paysage audiovisuel américain], ni la vérité du Sénateur X, mais la vérité de l’Écriture et de la tradition. Soyez prêts: dans un monde comme le nôtre ce ne sera pas, comme les contrefaçons de l’idolatrie, trop attrayant, ce sera parfois risqué.

Mais c’est juste pour dire que ce sera l’acceptation de la lutte comme un élément d’une vie chrétienne en pleine maturité. Quelle merveille que l’étude et la réflexion sur les vérités chrétiennes. Mais nous sommes appelés à une vie où non seulement il faut identifier la tentation — parce que nous connaissons la vérité — mais vouloir agir au service de la vérité.
Un choix fondamental. Finalement, serons-nous les soutiens de la haine de Satan, ou bien nous dévouerons-nous toute la vie à l’authentique amour de l’Évangile?

Bevil Bramwell

Version française des citations bibliques: bible de l’École biblique de Jérusalem (1955).

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Illustration : La chute de Satan – William Blake (vers 1805)

  1. Merci à Yves Floucat d’être allé rechercher le texte original en français dans la Collection Folio-Essais, n° 274, Paris, Gallimard, 1995, p. 204-205.