La prière chrétienne est foncièrement contemplative - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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La prière chrétienne est foncièrement contemplative

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Le temps du Carême qui nous pousse à un retour à l’essentiel dans notre christianisme est particulièrement propice pour recommander deux livres bien différents mais qui viennent de paraître à peu près en même temps.

L’un est une enquête historique sur les origines de la prière chrétienne. C’est le travail du R.P. Hamman, o.f.m., La Prière, dont le premier tome, sur le Nouveau Testament, a été récemment publié par les éditions Desclée et Cie (Paris-Tournai).

L’autre est l’étude très personnelle de l’abbé Hans Urs von Balthasar sur La Prière contemplative que les éditions Desclée de Brouwer (Bruges-Paris) viennent de nous donner en traduction française.

Le Père Hamman était bien préparé pour une étude comme la sienne, lui qui s’est fait connaître particulièrement par un très précieux volume qui a recueilli, dans d’excellentes traductions, pratiquement tous les textes de prières connus de l’antiquité chrétienne. Son dernier ouvrage a le mérite de reposer sur une enquête minutieuse qui a visé à réunir pareillement tout ce que le Nouveau Testament nous enseigne sur la prière, en l’éclairant à partir de la prière de l’Ancien Testament et de la prière juive.

Après le chapitre préliminaire de cette introduction nécessaire, qu’on sera tenté de trouver un peu succinct, mais il ne pouvait éviter de l’être qu’en se développant lui-même jusqu’aux dimensions d’un livre séparé, le Père Hamman aborde directement l’examen de la prière d’Israël telle que Jésus a commencé par la faire sienne : au temple, à la synagogue, sous la forme des prières juives alors en usage, et surtout dans le texte du psautier. Un rappel opportun des prières de la communauté de Qumrân souligne et les échos anticipés que le judaïsme contemporain donne à la prière chrétienne, et, par contraste, ce que celle-ci du fait du Christ garde d’irréductiblement original.

Vient alors un examen de tout ce qui nous a été gardé touchant la prière la plus personnelle de Jésus : les indications furtives des évangélistes, les prières dont ils nous ont conservé les termes mêmes, la grande confession de Jésus à son Père que saint Matthieu et saint Luc nous ont fait connaître, enfin la prière de Jésus à Gethsémani et sur la Croix.

Toute une autre étude est consacrée au seul Notre Père, la prière par excellence que Jésus a enseigné à ses Apôtres : le contexte, les variantes, les racines juives en sont tour à tour examinés, avant une analyse détaillée de chacune des demandes.

Retour aux sources de la prière

Après la prière de Jésus, ou la prière que Jésus a enseigné, c’est son enseignement le plus général au sujet de la prière qui est passé en revue.

La prière au sens strict ne pouvant être abstraite du culte, le Père Hamman a justement conclu cette partie de son travail par un examen du culte nouveau, tel que Jésus l’ a inauguré par son attitude envers le Temple, son institution du Baptême et de la Cène eucharistique.

Il passe ensuite à la prière de la communauté apostolique, telle qu’on la retrouve soit dans les Actes des Apôtres, soit dans des textes comme l’épître de Jacques, ou la première épître de Pierre. De celle-ci en particulier, à la suite de diverses études récentes, il souligne heureusement la structure foncièrement liturgique.

Viennent enfin deux grands chapitres consacrés respectivement à l’enseignement de saint Paul et à celui de saint Jean sur la prière.

Une analyse de la vision de l’apôtre du Christ ressuscité sur le chemin de Damas donne un prélude assurément indispensable à toute étude sur la prière comme sur la théologie de saint Paul. C’est après cela qu’on peut se poser la question capitale : à qui s’adresse la prière de l’apôtre ? La place respective du Père, du Christ et de l’Esprit dans cette prière nous fait découvrir comment la prière chrétienne a pris naturellement une forme trinitaire. Les objets de la prière paulinienne, et d’abord l’action de grâces, sa relation avec le culte, ses idées maîtresses achèvent cette partie qu’on peut dire cardinale dans l’ouvrage du Père Hamman.

Le chapitre sur saint Jean va nous montrer la prière chrétienne pleinement développée et consciente d’elle-même. C’est d’abord la prière dans l’Apocalypse, et avant tout l’hymnographie liturgique dont elle es toute tissée. D’où l’étude significative placée à cet endroit sur la prière et eschatologie, liturgie et parousie.

C’est pourtant à l’évangile johannique qu’il revient naturellement de nous donner l’enseignement ultime du Nouveau Testament sur la prière chrétienne. Une introduction souligne comment la structure littéraire même du quatrième évangile est dominée par la vie sacramentaire de l’Eglise primitive. Sur ce fond se détache l’approfondissement que l’apôtre bien-aimé nous permet de donner aux perspectives des évangiles synoptiques sur la propre prière de Jésus, dans la ligne pleinement développée de la grande confession paternelle de Matthieu et de Luc dont nous avons parlé plus haut. Vient ensuite l’enseignement sur la prière des fidèles eux-mêmes, dominée par le culte du Fils, l’assurance de sa médiation universelle et le don de l’Autre Paraclet, c’est-à-dire l’Esprit Saint. Les lignes maîtresses de la prière johannique seront définies par la liaison entre le problème de la prière et de la foi, d’une part, le problème de la prière et de l’expérience spirituelle, d’autre part.

Cet ouvrage patient et probe, dont le principal mérite est dans le caractère quasi exhaustif de ses analyses, est de ceux qui ne peuvent être présentés autrement que par une espèce de table des matières commentée. Il nous fait toucher du doigt tour à tour l’ensemble des richesses fondamentales sur lesquelles vit et vivra toujours toute prière chrétienne digne de ce nom. C’est, si l’on veut, un exercice essentiel de retour aux sources.

L’ouvrage de M. Urs von Balthasar qui nous est arrivé simultanément est exactement complémentaire de celui-ci par le fait qu’il ne lui ressemble en rien, bien qu’il s’attache exactement à la même substance évangélique. Ce livre aussi puissamment original dans sa conception que profondément traditionnel dans son inspiration est, en effet, une méditation, qui n’abandonne pas un instant son caractère tout personnel, sur ce qu’est exactement la prière contemplative chrétienne.

Tout entier, il repose sur cette idée, ou plutôt sur ce grand fait que la prière chrétienne est foncièrement une prière contemplative, mais que la seule prière contemplative qui soit authentiquement chrétienne est toute faite de l’accueil dans une foi vive de la Parole de Dieu, et plus précisément de cette Parole faite chair en la personne de Jésus-Christ, et de Jésus-Christ crucifié.

L’abbé von Balthasar qui a si profondément commenté la prière d’Origène, dans un livre admirable : Geist une Feuer, « Esprit et Feu », dont on attend impatiemment la traduction française promise depuis longtemps, était mieux placé que personne pour recueillir sur ce point tout le suc de la tradition la plus ancienne des plus grands spirituels chrétiens. Ses études personnelles sur la Parole de Dieu elle-même et la signification de ce thème dans le christianisme, comme son récent livre sur Martin Buber ou l’étude débordante de richesses qu’il prononça au Congrès liturgique de Strasbourg, l’ont amené à une pénétration sans doute inégalée dans ce dialogue qu’est essentiellement la prière chrétienne, mais un dialogue où c’est toujours Dieu qui garde une initiative souveraine. Et sur cette affirmation capitale, son étude de Barth n’a sans doute pas peu contribué à renouveler chez lui les points de vue trop banalisés dans la théologie catholique de l’époque moderne.

Le christianisme est d’abord vie intérieure

Il en résulte un livre d’une densité et d’une puissance absolument exceptionnelles, et souvent d’une beauté d’expression et de pensée qu’une habile traduction française a été assez discrète et précise pour permettre de retrouver presque toujours. Nous serions tentés de dire tout simplement que c’est le plus beau livre sur la prière qu’on ait vu paraître sans doute depuis le XVIIe siècle.

Un livre d’une richesse aussi parfaitement dominée, assimilée, est un livre nécessairement difficile, au moins par endroits. Mais tout chrétien qui veut vraiment essayer de comprendre, avec l’intelligence du cœur, au sens biblique et pascalien du mot, ce que c’est que la prière chrétienne devrait ne pas reculer devant l’effort qu’il lui demandera peut-être.

Faut-il souligner à quel point des études comme celles-ci devraient être les bienvenues parmi nous aujourd’hui ? Les légitimes et même très louables préoccupations de l’apostolat moderne, qui nous ont fait regarder passionnément à l’extérieur de l’Eglise, nous ont trop servi de prétexte, ces dernières années, pour négliger ce fait primordial que le christianisme est d’abord et demeure toujours vie intérieure, colloque vivant de l’homme avec le Dieu qui lui a parlé, qui ne cesse de lui parler. Combien de laïcs instruits et fervents, et même parmi nos plus ardents militants d’Action Catholique, se plaignent aujourd’hui ouvertement de la peine qu’ils ont à trouver encore des prêtres qui s’intéressent personnellement aux problèmes de vie intérieure ! Faut-il tellement s’étonner après cela de la facilité stupéfiante avec laquelle d’autres militants, ou bien passent à des partis politiques athées ou violemment anti-chrétiens, en proclamant qu’ils n’ont abandonné du christianisme que ce qu’ils en appellent « la mythologie », ou bien, faisant le chemin inverse, adhèrent à des doctrines syncrétistes plus ou moins orientales, en se plaignant que leur christianisme antérieur leur ait proposé tout ce qu’on voulait, sauf de la spiritualité ?

A cette heure où un Pape qui nous demande un effort œcuménique exceptionnel de hardiesse imprime aux premiers jours de son pontificat une marque si directement spirituelle et évangélique, pensons aussi que les plus grands préjugés des chrétiens non catholiques contre l’Eglise viennent de ce qu’ils voient trop bien en elle la puissante organisation visible, mais se plaignent de ne pas y sentir suffisamment la présence et comme l’épiphanie des réalités invisibles.

Que toutes ces considérations, en ces dernières semaines du Carême, nous incitent à tirer sans plus attendre notre profit des deux ouvrages que nous avons signalés. Encore une fois, c’est à bien des titres qu’ont peut justement dire d’eux qu’ils viennent à leur heure.

Louis BOUYER