Commentaires émis le 23 septembre 2011 à l’occasion de l’intronisation de Myron Steeves, nouveau Doyen de la Faculté de Droit à l’Université de la Trinité.
Le lieu et le cérémonial de l’évènement — dans une église, avec prières et cantiques — montrent à l’évidence que la Faculté de Droit de la Trinité, et l’Université dont elle fait partie, sont chrétiennes. « Chrétienne » peut sembler un simple adjectif qualifiant « université » ou « faculté de droit » comme on dirait « régionale », ou « Californienne ». La tentation résulte d’une idée — largement répandue, mais rarement contredite, dans la culture contemporaine — qu’une faculté chrétienne est semblable à une faculté laïque accoutrée d’une chapelle, de règles de comportement moral et d’engagement à respecter les dogmes religieux qui lui sont propres. Bien que ces différences ne soient pas négligeables, elles ne sont pas, ou ne devraient pas être au cœur d’une institution qui se dit chrétienne.
Permettez que je vous propose le principe suivant : un établissement chrétien considère la théologie comme une matière académique légitime, informante et éclairante, et liée aux autres matières enseignées dans l’université de la même manière que toutes sont interdépendantes.
Mon point de vue est conforme au magistral « L’idée d’Université » du Cardinal John Henry Newman (1852). Selon Newman, si la théologie fait partie des connaissances, alors une université chrétienne doit traiter la théologie tout comme elle traite les autres matières, telles la chimie, la physique, le droit, la médecine, la littérature anglaise, la sociologie. Penser que la théologie a un caractère personnel privé — un peu au-dessus des questions de goût — serait l’exclure du domaine de la « connaissance » et donc lui oter de l’importance par rapport aux autres matières académiques.
Un établissement chrétien n’est pas un simple établissement laïque avec en prime des activités et des traditions liées au projet pédagogique. Mieux, l’établissement chrétien apporte les ressources de la tradition théologique, ce qu’un établissement laïque ne peut faire.On peut dire ainsi qu’un établissement laïque n’est pas neutre puisqu’il élimine délibérément l’apport de la réflexion théologique. Il est guidé par un ensemble de conceptions différentes, et parfois communes, relatives à l’univers, aux êtres humains, à la dignité de la vie et au plus grand bien de tous.
Prenons par exemple une affaire portée en 2002 devant la 9ème Cour d’Appel par Newdow contre l’Académie unifiée du district « Elk grove ». La cour a déclaré que le règlement du district faisant prononcer chaque jour la Déclaration d’Allégeance (NDT: cérémonial bref encore très répandu aux États-Unis, les élèves, la main sur le cœur, répètent leur fidélité à la patrie) par les élèves est en contradiction avec la règle générale des établissements scolaires parce que Dieu est cité dans le texte de la Déclaration, même si les élèves ont le droit de s’abstenir. L’incapacité de la Cour à voir les importantes questions philosophiques dans cette citation est tout-à-fait curieuse. La laïcité lui a mis des œillères.
Le Congrès a inclus cette référence à Dieu en 1954 pour marquer la différence entre Américains et Soviétiques :
« Les principes fondamentaux régissant le gouvernement américain et animant le mode de vie de notre pays sont soumis à des attaques de la part d’un système dont les principes philosophiques sont à l’inverse des nôtres. Notre nation est fondée sur le concept de la liberté et de la dignité individuelles de l’homme. Sous ce concept repose la foi en l’importance de l’individu, créature de Dieu et en ayant reçu certains droits inaliénables qu’aucune autorité civile ne peut violer. Citer Dieu dans notre déclaration d’allégeance marquerait plus fortement la dépendance de notre peuple et de notre gouvernement sous la direction morale de notre Créateur. C’est en même temps contredire les concepts athées et matérialistes qui cherchent à dominer les individus.»
Dans une faculté de droit chrétienne il ne faut pas négliger ces questions comme de simples assertions du Congrès qu’un croyant ne saurait soutenir raisonnablement, comme la Cour l’a fait dans l’affaire Newdow. Il faut considérer plutôt ces arguments comme dépendant de questions à la fois sérieuses et intrigantes, guère différents par leur genre d’autres problèmes de jurisprudence posés à la fois à des établissements laïques et religieux. Pour le chrétien la notion que Dieu est à la base de nos droits n’est pas moins défendable qu’une procédure en droit positif, ou que la théorie des injustices économiques de Richard Posner, ou encore que le positivisme légal de H.L.A. HART.
Un établissement chrétien étant attaché à une tradition intellectuelle constituée de problèmes résolus, partiellement résolus, et de questions ouvertes, son approche de la liberté académique diffère de celle des établissements laïques. Chez ces derniers on trouve à première vue une liberté sans contrainte, jusqu’à ce qu’on découvre l’infrastructure intellectuelle de l’établissement — et comment des bornes sont placées en précisant quelles questions sont résolues, partiellement résolues, ou ouvertes, et en même temps les sanctions en cas de franchissement de ces bornes.
Un exemple : en 2010 à l’Université de l’Illinois, un professeur a été licencié au motif qu’il avait osé présenter aux étudiants la position de l’Église catholique sur la sexualité des hommes dans un cours consacré à la théologie de la morale catholique. La même année, un astronome confirmé s’est vu refuser un poste à l’Université du Kentucky parce que certains dirigeants pensaient qu’il avait, au cours de conférences sur les rapports entre science et théologie, émis des doutes sur certains points du néo-Darwinisme. Un professeur, chrétien évangélique, a été sanctionné — finalement il a bénéficié d’un arrangement amiable — pour avoir considéré la théologie comme une matière académique sérieuse, justement ce qu’accueille et encourage un établissement chrétien soucieux d’une tradition intellectuelle différente et, oserai-je dire, plus riche et plus étendue. Alors, ce genre de discussion n’a pas vraiment à voir avec la liberté académique. Il s’agit de savoir quelles questions sont importantes et quel genre de ressources intellectuelles peuvent être mises d’aplomb en étudiant les-dites questions.
Francis J. Beckwith
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/the-christian-university.html
Photo : La Faculté de droit de la Trinité