L’union entre l’invisible et le visible est l’un des plus grands mystères de la foi catholique. Le Dieu invisible s’est fait chair et a habité parmi nous ; l’âme invisible est perçue à travers le corps; la grâce invisible est donnée par les signes visibles des sacrements. En tant qu’êtres corporels dotés d’un intellect limité, nous préférons naturellement réfléchir à ce qui est sensible et palpable, même si en tant qu’adultes nous savons que l’invisible fait partie de la réalité. Mais à l’égard des plus jeunes auxquels manque la capacité à raisonner dans l’abstrait, enseigner la réalité des choses invisibles est un sérieux challenge.
Bien entendu, dans nos catéchèses, nous n’assommons pas les enfants avec un théologie dogmatique ou un vocabulaire métaphysique. Nous essayons plutôt de trouver des exemples concrets afin qu’ils puissent comprendre facilement. Les adultes aussi ont besoin d’exemples adaptés pour comprendre. Mais si nous n’y faisons pas attention, nos meilleures intentions peuvent égarer les enfants. Par exemple, si l’on décrit Dieu comme un vieillard portant une barbe blanche qui récompense les bons et punit les méchants, nous avons réduit Dieu à un Père Noël. Si nous comparons la Trinité à un robot qui sait tout faire, nous sommes coupables de modalisme, cette hérésie qui apparut tout d’abord au troisième siècle.
Comment, par conséquent, enseignons-nous la dimension invisible de la foi aux enfants ? Mon fils de quatre ans m’a obligé à répondre à cette question à la sortie de la messe. Juste avant de sortir par la porte principale à côté du tabernacle, nous avons fait une génuflexion. À ce moment-là, quelqu’un est venu prendre la clé du tabernacle. « Pourquoi Dieu a-t-il besoin d’une clé? » m’a demandé mon fils pendent que nous sortions. Comment a-t-il associé Dieu à une clé, je n’en sais rien, mais telle était la question.
Je lui ai expliqué que ce n’est pas parce que Jésus était présent dans le tabernacle que Dieu avait besoin d’une clé. « Il y a une statue de Jésus à l’intérieur? ». C’était une suite logique des choses : ses rencontres avec Jésus s’étaient réduites jusqu’à présent à des statues et des images. Comment une personne peut-elle être invisible ? Ma femme et moi avons expliqué à tour de rôle aussi bien que possible la présence invisible de Jésus dans l’eucharistie visible.
« Est-ce que Jésus est dans le pain? » Au moins une signe de compréhension après avoir progressé lentement. À proprement parlé, Jésus n’est pas dans le pain ; il est le pain, mais cette distinction n’est probablement pas capable de le conduire sur la voie de la transubstantiation. Alors nous avons acquiescé, réalisant que nous ne pourrions pas nous étendre autant que nous l’aurions fait avec un adulte. Oui, ai-je dit, Jésus est dans le pain. Mon fils a créé son propre exemple capable de l’aider à comprendre, et faisant ainsi, il m’a donné une leçon de catéchisme pour jeunes enfants : trouver une étincelle de vérité donnée par l’enfant lui-même et à partir de là l’aider à grandir.
« À moins que vous ne redeveniez comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Mt 18, 3). Non seulement cette analogie demande les vertus d’humilité et de docilité de la part des disciples adultes de Jésus, elle rappelle aussi quelque chose aux catéchistes. Avec leur innocence naturelle et leurs expériences encore limitées, les enfants voient le monde d’une façon différente des adultes. C’est la même chose en ce qui concerne les vérités de la foi. Si j’avais insisté lourdement avec des exemples jusqu’à ce que mon fils adhère à ma façon de voir, j’aurais échoué. Un raisonnement d’adulte imposé aux jeunes reviendrait à violer le commandement du Seigneur de laisser les enfants venir à Lui.
Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de méthode sûre pour enseigner la foi aux enfants, loin de là. Un bon enseignement est un art plus qu’une science, et il y a mille manières de faire comprendre que l’invisible est une réalité. Mais, lorsque nous abordons ce sujet, nous ne devons pas avoir peur d’aborder la question de l’invisible, ni de dire qu’il est riche de sens. Autrement, nous ne ferions pas comprendre la plénitude de la foi. Les vérités de la foi ne sont pas connues de la même manière que nous connaissons les réalités biologiques ou les preuves géométriques. En effet elles englobent le mystère et nous conduisent plus profondément jusqu’à ce qui est ultimement intelligible. La créativité des enfants ou leur curiosité innée sont justement les vraies dispositions pour rencontrer l’invisible. Notre rôle de premiers éducateurs est de ne pas étouffer les mystères de la foi mais d’ouvrir à eux.
Après notre bref échange, mon fils n’était pas pour autant en mesure d’affronter un questionnaire de théologie sacramentelle. Toutefois, son esprit était capable à lui seul d’affronter la question de l’invisible. L’étrange mystère de « Jésus dans le pain » est maintenant à lui. Il peut y réfléchir à partir de sa propre imagination. Après tout, il n’a que quatre ans et toute la vie pour pénétrer toujours plus ce grand mystère de la présence réelle.
Et pour que ma femme et moi soyons fiers après notre petit échange, notre fils continua en changeant tout à fait de sujet : « Je n’aime pas les Yankees »1, annonçant cela sur le même ton, comme si nous n’avions parlé que de baseball jusque-là. Peut-être n’avait-il pas autant appris que nous le pensions. Ou peut-être était-il en train de nous faire comprendre le commandement du Seigneur de devenir petit comme lui pour saisir ce qu’est le Royaume des cieux.
En lui enseignant l’invisible, il nous a appris à nous en approcher.
David G. Bonagura Jr. est professeur assistant de Théologie au Séminaire de l’Immaculée Conception de Huntington (New York).
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/teaching-the-invisible.html