Des fractions de particules nommées neutrinos semblent voyager plus vite que la lumière, selon une découverte récente annoncée par des chercheurs du CERN qui pourrait remettre en cause la théorie de la relativité selon Einstein, fondement de la physique moderne. Au Bundestag, le 22 septembre, le pape Benoit XVI a dénoncé les désastres légaux et moraux produits par la théorie du positivisme juridique en tant qu’elle est considérée comme la vérité ultime sur les personnes et la société humaines.
Laquelle de ces découvertes est la plus révolutionnaire ?
On parle apparemment de deux choses différentes. On peut vivre sans Einstein, mais pas sans la vérité (65 milliards de neutrinos solaires sont émis par seconde et par centimètre carré. Une sur 10 trillions rencontre un atome sur notre planète – ce qui semble souvent être la proportion aussi pour les enseignements du Pape.)
Le discours du pape suscitera de nombreux commentaires. Il est remarquable pour sa richesse, sans doute un peu trop au gré des députés allemands, pas très différents de leurs homologues américains sur le plan des questions philosophiques, théologiques et juridiques. Clairement, Benoît XVI visait plus haut que son auditoire immédiat.
En tant qu’Allemand s’adressant à des Allemands, il a bien entendu rappelé la perversion de la politique et de la justice durant la période nazie, et la menace constante – accrue par des « moyens (technologiques) précédemment inimaginables » – que le pouvoir politique ne trahisse ce qui est moralement juste. Le Pape n’est pas un idéaliste. Il n’ignore pas que l’homme politique pour réussir doit s’attirer un soutien populaire, mais ceci ne saurait être qu’un préalable à une action juste.
Benoît XVI avait été invité en Allemagne en tant que pape et en reconnaissance du « rôle joué par le Saint-Siège comme partenaire au sein de la communauté des peuples et des États. » Ce qu’il avait à dire à ce sujet était donc bien plus significatif, ciblé et profond.
Il invoqua ce qu’il a appelé « les fondements du droit. » Comme il convient à un pape, il a pris un exemple biblique, lorsque Salomon, à son couronnement, est encouragé par Dieu à Lui adresser une requête. Salomon demande « un cœur plein de jugement pour gouverner ton peuple et pour discerner entre le bien et le mal » (Rois, I, 3, 9)
Selon saint Augustin, un État sans justice est « magnum latrocinium » (un grand brigandage). Les Allemands, tout particulièrement, peuvent le comprendre, dit Benoit XVI. Leur gouvernement, de mémoire humaine, s’est transformé en un tel brigandage, « menaçant le monde entier et le conduisant au bord de l’abîme. »
La question éternellement demeure : comment connaître ce qui est bien et ce qui est mal ? En de nombreux cas, la règle de la majorité suffit. Cependant pour des « questions fondamentales de droit, où la dignité de l’homme et de l’humanité est en jeu », l’ensemble des citoyens, et particulièrement les Chrétiens, peuvent être amenés à s’opposer à un système juridique donné.
Rétrospectivement, il est facile de voir la justesse de la cause des résistants au nazisme. Il n’est pas aussi facile de savoir en quoi consiste cette résistance aujourd’hui. Discerner le bien et le mal n’est jamais facile, dit Benoit XVI, mais c’est encore plus difficile depuis certains développements récents.
Historiquement, la notion de ce qui est bien a presque toujours été « tirée de la religion. » Au moins pour ce qui concerne le catholicisme, cela ne s’est jamais ramené simplement à quelque modèle d’Etat selon la Révélation. L’Eglise cherche les sources du droit dans la nature et la raison, toutes deux fondées sur « la raison créatrice en Dieu. » Comme il l’a déjà répété, nos notions de ce qui est rationnel dépendent d’un Logos divin antérieur.
Le cœur « plein de jugement » de Salomon, la philosophie stoïque, le droit romain et la tradition catholique du droit naturel, reflètent cette orientation fondamentale, tout comme les Lumières, la Déclaration des NU sur les Droits de l’Homme, et la loi fondamentale de l’Allemagne post-nazie.
Au cours du dernier demi-siècle, la grande tradition du « droit naturel » a été écartée comme exclusivement catholique. A ce tournant de sa démonstration, Benoit XVI suggère, sans le dire ouvertement, qu’un rejet analogue avait permis la prise de pouvoir par les nazis par la voie démocratique. Les théories juridiques positivistes de Hans Kelsen – selon lequel le droit ne saurait fournir que des « réponses techniques », reléguant Dieu, la nature et le sens aigu de la rationalité au rang de « jugements subjectifs » – ont habitué les Allemands respectueux de la Loi à accepter au nom de la légalité ce qui était mal.
Benoît cite explicitement Kelsen tout en ne faisant pas le lien avec la victoire du nazisme :
« Lorsque la raison positive, avertit-il, domine le champ à l’exclusion de toute autre forme – ce qui est globalement le cas dans notre esprit public -, alors les sources classiques de l’éthique et du droit sont exclues. C’est une situation dramatique qui concerne chacun et qui nécessite un débat public. L’un des objectifs essentiels de cette intervention est d’adresser une urgente invitation à lancer un tel débat. »
Force lamentations et grincements de dents sont attendus en réponse à cette invite dans la mesure où l’admission d’autres sources de droit serait grosse de conséquences pour toute une série de sujets d’actualité névralgiques.
Les critiques négligeront probablement de mentionner que Benoit XVI attribue une réelle valeur à la raison positive dont il rejette simplement la prétention à s’ériger comme la seule forme de rationalité. Elle devient ainsi un bunker de béton sans fenêtres, fermé à Dieu et au monde, diminuant et menaçant l’humanité. L’Europe, tout particulièrement, se trouve ainsi aujourd’hui dans un état « sans culture » et est donc vulnérable aux forces extrêmes prêtes à combler le vide.
Sans se prononcer sur le projet politique, le Pape a pris l’exemple de l’écologie pour montrer comment il était possible de redonner de la valeur à la nature. Il croit que nous manquons aussi du sens de l’inviolabilité de la nature humaine, qui ne saurait être manipulée, ni laissée à la libre volonté de l’homme. Dieu donne sens tant à la nature qu’à la nature humaine qui supposent respect : «La liberté authentique de l’homme trouve son accomplissement de cette façon et d’aucune autre. »
Ceci laisse beaucoup à penser. Les perspectives de chaque côté de l’Atlantique ne sont pas brillantes. Mais qui d’autre que ce pape si doux et érudit pouvait exposer d’une manière aussi poignante les questions fondamentales qui se posent à la culture de l’Occident ?
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/benedict-at-the-bundestag-two-views.html
Traduit par Dominique