Le Pape réveille spirituellement l'Allemagne - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Le Pape réveille spirituellement l’Allemagne

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Le troisième voyage du pape allemand dans sa patrie semblait être celui de tous les dan­gers. Le catholicisme y paraît, en effet, bien fragilisé à l’heure où des procédures judiciaires sont en cours contre des prêtres et des religieux accusés de crimes sexuels à l’encontre de l’enfance. On sait qu’il n’y a pas plus terrible déni de légitimité que celui qui dénonce l’atteinte à l’innocence de la part des ministres sacrés. Depuis des mois, l’Église catholique allemande est l’objet de remises en cause qui ébranlent sa crédibilité et font fuir par dizaines de milliers des fidèles qui refusent désormais de payer l’impôt destiné au financement de l’institution. Bien sûr, il est difficile de récuser les motifs profonds d’une telle désaffection qui peuvent aussi se rapporter à la fragilité des convictions, si ce n’est aux défauts de discernement.

Les ennemis du catholicisme exploitent sans vergogne un drame abyssal pour abattre moralement une institution qu’ils réprouvent idéologiquement. Ce en quoi ils n’innovent pas. Le régime national-socialiste avait déjà utilisé les mêmes procédés contre le clergé allemand, à partir de faits sans doute en partie fondés. C’est donc qu’il y a lieu de distinguer le drame lui-même de l’offensive polémique qui s’en justifie. Et c’est la seconde dimension de la fragilisation. Les attaques incessantes de l’hebdomadaire Der Spiegel de Hambourg à l’encontre de la personne de Benoît XVI révèlent une véritable haine qui dépasse Joseph Ratzinger pour atteindre le christianisme dans son essence. Qu’importe qu’il y ait une bonne dose de mauvaise foi et de falsification dans les imputations de cette publication qui fait feu de tout bois contre l’adversaire. Le fond de l’affaire concerne bien un nouveau Kulturkampf qui entend soumettre les esprits rétifs des catholiques romains aux canons d’une modernité culturelle en tout point opposée à ses « dogmes ».

Et, comme si cela ne suffisait pas, c’est à l’intérieur du catholicisme allemand lui-même que s’affirme une contestation antiromaine des plus virulentes. Cette contestation atteint aussi l’Autriche, qui fait partie de l’aire germanique. Là, elle a débouché récemment sur un manifeste de révolte, signé par quatre cents prêtres. L’ancien vicaire général du cardinal Schönborn, archevêque de Vienne, est le principal meneur de ce mouvement, très révélateur d’un affaissement théologique et spirituel. En Allemagne même, on n’atteint pas encore ce degré de violence verbale. Mais c’est une mentalité insidieuse qui ne cesse de s’affirmer dans le cadre des structures institutionnelles très particulières d’un régime concordataire.
Il convenait de rappeler brièvement ces trois aspects de la contestation, parce qu’ils ne pouvaient pas ne pas marquer l’esprit du Pape dans la préparation de cette visite apostolique.

Déjà, lors de la conférence de presse qui a lieu, habituellement, dans l’avion à destination du pays visité, le Pape avait admis qu’une opposition puisse s’exprimer, pourvu que celle-ci fût « civile ». Mais il n’était nullement dans son intention d’abdiquer quoi que ce soit de sa charge apostolique. Benoît XVI était disposé à affronter toutes les oppositions pour mieux affirmer la radicalité d’un message qu’il ne tient pas de lui-même. Sa volonté était de rappeler les exigences de l’Évangile et le sérieux de la foi, à l’écoute de toutes les transactions mondaines. Aussi était-ce toujours « par le haut » qu’il envisageait de traiter les questions qu’il s’agissait d’aborder devant ses divers auditoires.

Ainsi devant le Bundestag, le Pape s’est-il livré à une leçon de philosophie politique qui fera date, à l’égal de ses interventions les plus célèbres (à Ratisbonne et aux Bernardins). Par-delà les parlementaires allemands, elle s’adressait à l’ensemble des instances démocratiques du monde. Il ne suffit pas, en effet, qu’une loi soit votée à la majorité pour qu’elle corresponde aux exigences de la conscience morale. Comment reconnaître ce qui est juste ? « Contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’État un droit révélé, ni un règlement juridique découlant d’une révélation. Il a au contraire renvoyé à l’harmonie entre raison objective et subjective, une harmonie qui toutefois suppose le fait d’être toutes deux les sphères fondées dans la Raison créatrice de Dieu. » Cette conception de la raison, qui met en accord philosophie et foi, est contredite par le positivisme juridique, qui a de la nature une notion instrumentale et éloigne la modernité de la véritable ampleur de notre humanité. « La raison positiviste qui se présente de façon exclusiviste et n’est pas en mesure de percevoir quelque chose en dehors de ce qui est fonctionnel, ressemble à des édifices de béton armé sans failles, où nous nous donnons le climat et la lumière tout seuls et où nous ne pouvons plus recevoir ces deux choses du vaste monde de Dieu. »

Les quelque six cents parlementaires qui applaudirent longuement debout et firent une ovation à Benoît XVI avaient-ils pleine conscience de la portée de ce discours ? C’est possible, car le rappel explicite fait par le Pape de la période nationale-socialiste pouvait leur faire méditer ce qu’il en coûte d’avoir perdu le sens véritable du droit, en pratiquant les pires transgressions anthropologiques. Il y a là un signe intéressant à déchiffrer. Cette attitude plus que bienveillante du Bundestag contraste avec l’attitude hostile d’une bonne partie des médias et l’indifférence de l’opinion. Ne serait-ce pas que du côté des politiques, investis d’une lourde responsabilité, est mieux perçue la fonction magistérielle de l’évêque de Rome ?
L’attitude de la chancelière Angela Merkel durant cette visite est également intéressante à interpréter, alors qu’au nom des polémiques acerbes de 2009 (notamment avec l’affaire Williamson) elle s’était assez brutalement adressée au Pape, elle s’est montrée, ces jours derniers, d’une étonnante attention, manifestant tout l’intérêt qu’elle portait aux interventions de Benoît XVI. Elle associait d’ailleurs son autorité de chancelière et ses convictions de croyante, d’une façon qui serait très mal interprétée en France. C’est un indice de plus du décalage entre la doxa moyenne et la lucidité des hautes fonctions.

Angela Merkel, elle-même protestante luthérienne et fille de pasteur, était également présente au couvent des Augustins d’Erfurt, là où le jeune Martin Luther fut ordonné prêtre. Dans ce lieu hautement symbolique, n’est-ce pas l’Allemagne tout entière qui retrouvait son histoire, ses déchirures intimes et jusqu’à ses angoisses profondes ? La venue d’un pape allemand là où s’était décidée la rupture du XVIe siècle constituait plus qu’un événement, une occasion sans précédent de méditer sur la signification religieuse de la déchirure. Pourtant, il faut convenir que les tensions théologiques d’hier sont considérablement estompées, à tel point que la référence même à Martin Luther n’est plus guère de mise en terre luthérienne. Et ce n’est pas le moindre paradoxe que son souvenir et la force de sa stature spirituelle aient été précisément soulignés par le Pape.

L’affaissement qui touche une grande part du monde protestant, pourtant reconnu pour ses ouvertures à la modernité, a conduit Benoît XVI a dessiner le portrait du réformateur comme celui d’un chercheur de Dieu : « Comment puis-je avoir un Dieu miséricordieux ? Que cette question ait été la force motrice de tout son chemin, me touche toujours à nouveau profondément. Qui, en effet, se préoccupe aujourd’hui de cela, même parmi les chrétiens ? Que signifie la question de Dieu dans notre vie ? Dans notre annonce ? » Et de rappeler l’abîme du mal et du péché, auquel le Réformateur fut si douloureusement sensible. On mesure ainsi la distance qui sépare le monde de la sécularisation et la foi de Luther. Et là-dessus, les protestants sont interpellés autant que les catholiques. « Ce n’est pas l’édulcoration de la foi qui aide, mais seulement le fait de la vivre entièrement dans notre aujourd’hui. C’est une tâche œcuménique centrale dans laquelle nous devrions nous entraider à croire de façon plus profonde et plus vivante. »
Dans cette logique, le Pape n’était pas disposé à des accommodements faciles, tel celui réclamé avec insistance d’une hospitalité eucharistique qui permettrait aux protestants d’accéder à la communion de la messe catholique. Le dialogue œcuménique authentique ne passe pas par des transactions mais par une reconnaissance commune du mystère chrétien. En affirmant la plus grande proximité des orthodoxes à la foi catholique, Benoît XVI a sans aucun doute jeté une ombre sur le rapprochement avec les Églises de la Réforme, mais il a surtout signifié en quoi consistait la marche vers l’unité.

Enfin, le Pape s’est évidemment adressé à la communauté catholique allemande, avec toute l’affection qu’il ressent pour l’Église de son baptême et de son initiation théologique mais, pour dire les choses nettement, il ne lui a pas fait de cadeaux. Comme le remarque Jean-Marie Guénois dans Le Figaro, jamais il ne s’est adressé avec une telle franchise et même une telle sévérité à une autre Église nationale, même si c’était avec une certaine retenue : « En Allemagne, l’Église est organisée de manière excellente. […] sincèrement nous devons dire qu’il y a un excès de structures par rapport à l’Esprit. J’ajoute : la vraie crise de l’Église dans le monde occidental est une crise de la foi. Si nous n’arrivons pas à un véritable renouvellement de la foi, toute la réforme structurelle demeurera inefficace. » Décidément, il fallait que le pape fût allemand pour dire les choses avec autant de force !
On aura compris que face à la contestation intra-ecclésiale, Benoît XVI n’est disposé à aucun accommodement. Son seul souci est de réveiller les chrétiens et, de ce point de vue, c’est aux 20 000 jeunes réunis pour la veillée du samedi qu’il a le mieux formulé son appel à un vrai renouveau. Il leur a demandé de transmettre le feu de la Résurrection. « Le préjudice pour l’Église ne vient pas de ses adversaires, mais des chrétiens attiédis. Comment le Christ peut-il alors dire que les chrétiens — et cela peut être aussi ces chrétiens faibles et souvent si tièdes — sont la lumière du monde ? » Aussi le Pape a-t-il interpellé ses jeunes compatriotes en les engageant « à oser devenir des saints ardents ».